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La croissance américaine souffre-t-elle vraiment du populisme ?

L’élection de Donald Trump a été suivie à la fois d’un épisode d’euphorie financière et d’inquiétudes importantes quant à sa politique économique. Alors que l’enthousiasme des marchés a en partie cédé le pas, une confusion semble s’être installée entre la question politique et celle de l’amélioration économique, relative, des dernières années.

Le Brexit l’a montré : la volonté d’un grand nombre d’analystes de voir un impact négatif et immédiat, sur le plan économique, d’une décision politique s’avère légère et contreproductive. Face des réalités complexes et alors qu’une véritable refonte de la politique économique est nécessaire, la tendance de nombreux économistes à défendre les tropismes hérités de la « mondialisation heureuse » œuvre de façon déconcertante à la crédibilisation auprès d’une partie de la population des dérives politiques qu’ils tentent pourtant de contrer.

Nature du rebond américain

Il est tentant d’affirmer en particulier, comme le font de nombreux éditorialistes, que l’Europe continentale, à l’écart de la présidence de Donald Trump et du Brexit, s’en sortirait nécessairement mieux que le Royaume-Uni et les États-Unis. Bien que toutes ces économies connaissent des difficultés significatives, il convient de souligner que les États-Unis sont tout de même parvenus à enclencher une véritable reprise, avec une politique d’assainissement du secteur bancaire dès le début de la crise de 2008 et sous un flux de liquidités quasiment illimité.

En cela, la lecture des chiffres de croissance ou d’inflation comme pari politique centré sur les dirigeants actuels d’un pays, a fortiori s’ils sont au pouvoir depuis quelques mois, apparaît quelque peu superficielle. Présidence de Donald Trump ou pas, il fait peu de sens d’aller imaginer une avance de l’Europe dans la sortie de crise. Cela n’est pas le cas, pour des raisons par ailleurs indépendantes des responsables politiques actuels, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre.

Les États-Unis ont affiché au dernier trimestre une croissance de 3%. Cela ne signifie pas que l’économie américaine ne souffre pas de failles importantes, bien au contraire, mais l’idée que l’élection de Donald Trump, aurait en quelques mois, détruit la confiance ou gelé les décisions d’investissement par la menace d’une politique chaotique ne s’est pas vérifiée. La croissance américaine est précisément hissée par une demande dynamique, qu’il s’agisse de la consommation des ménages ou des investissements productifs. La consommation est, du reste, portée par le recul continu du chômage. Certes, la diminution du chômage est en partie due à la baisse du niveau de participation dans l’économie mais le mouvement va bien au-delà.

La focalisation des économistes sur la conjoncture de court terme détourne des enjeux plus profonds et plus lourds de conséquences.

Sur une note plus subjective, la proportion d’Américains qui estiment appartenir à la classe moyenne est revenue à son niveau d’avant crise. Le sentiment de déclassement n’est donc plus au niveau qu’il avait atteint au creux de l’après récession. Les inégalités restent très importantes mais la société américaine ne semble pas engagée dans une dynamique de décomposition supplémentaire comme c’est le cas dans la plupart des pays d’Europe du Sud et, dans une certaine mesure, en France.

La reprise américaine a notamment été rendue possible par une politique monétaire ultra expansionniste, qui a relancé des bulles de crédit. Cela pose le problème fondamental de la stabilité économique de plus long terme, l’abaissement continu du niveau d’épargne signalant une limite inhérente à la tendance actuelle en termes de croissance. Quant à la zone euro, il aura fallu attendre six longues années de plus pour qu’une approche finalement similaire soit développée ; avec les mêmes inconvénients en termes de création de bulles, mais en laissant l’économie s’engager dans la voie d’une désintégration sociale plus poussée entretemps.

Le conformisme économique peut-il contrer les dérives politiques ?

Donald Trump a ainsi accédé au pouvoir dans un contexte à la fois de stabilisation économique et de failles évidentes du modèle de croissance. Le blocage politique et l’incertitude quant à la politique économique qui finira par être menée peuvent déstabiliser la croissance, mais comme dans le cas du Brexit, l’analyse économique ne gagne pas en crédibilité à annoncer des apocalypses qui n’adviennent pas. D’autant plus que cette focalisation des économistes sur la conjoncture de court terme détourne des enjeux plus profonds et plus lourds de conséquences. L’analyse économique conjoncturelle, quelle que soit son orientation politique, pèche par sa superficialité.

La focalisation sur l’apparente doctrine commerciale de Trump fait par ailleurs l’impasse sur le fait que Bernie Sanders, à l’aile gauche du parti démocrate, a au cours des primaires suivi une approche économique assez similaire, dans ses prémisses. Un véritable débat est en cours aux États-Unis sur les modalités d’une éventuelle relocalisation productive, au-delà de l’idée des barrières douanières prohibitives évoquées au cours de la campagne. Il s’agit d’un débat de fond qui, derrière les gros titres, agite des milieux économiques parfaitement hostiles à la présidence actuelle. Sur le long terme il s’agit de la redéfinition d’un modèle économique et sociale inclusif.

Une approche raisonnable et efficace consisterait non pas à chanter les louanges d’un système économique caduc en condamnant par principe toute remise en cause, mais à participer au contraire de façon résolue à la réorientation de ce modèle, à la façon indiquée de nouveau récemment par Dani Rodrik, tout en rejetant fermement la dérive xénophobe à laquelle ont recours ceux qui instrumentalisent justement la question économique. Réciproquement, la dérive xénophobe redonne une crédibilité et une apparence de sagesse aux idées économiques les plus conformistes des dernières décennies, de façon inattendue après une crise aussi profonde, alors même que celles-ci sont profondément remises en cause jusque dans les milieux financiers.

Le jeu de vases communicants qui consiste à dénigrer une économie et, à cette fin, à ignorer les failles d’une autre pénalise l’élaboration d’une véritable stratégie de sortie de crise. À l’opposé, malgré la consolidation du rebond économique européen, le continent est engagé dans la voie problématique d’un constant nivellement par le bas, en matière salariale mais aussi technologique.

Plus encore, alors que les États-Unis sont, malgré l’aléa politique, véritablement investis dans la révolution industrielle en cours (intelligence artificielle, robotique, impression 3D…), la plupart des pays européens ont pris un retard important sur ce front. Il ne fait pas de doute qu’il existe une incompatibilité viscérale entre certains acteurs de cette révolution industrielle, en particulier ceux liés au modèle d’innovation californien, mais il existe un consensus croissant pour lier saut technologique et tentative de relocalisation productive. Le rejet nécessaire des dérives politiques actuelles ne peut que souffrir d’une confusion avec des approches économiques en réalité déjà dépassées.

 

Remi Bourgeot

Remi Bourgeot

est économiste, spécialiste de questions monétaires, diplômé de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (SupAéro) et de l’Ecole d’économie de Toulouse, chercheur associé à l’IRIS et stratégiste d’investissement.
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est économiste, spécialiste de questions monétaires, diplômé de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (SupAéro) et de l’Ecole d’économie de Toulouse, chercheur associé à l’IRIS et stratégiste d’investissement.

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