Restez Connecté:
HomeÉconomieMacron et le triangle des Bermudes européen

Macron et le triangle des Bermudes européen

L’impératif abstrait des « réformes structurelles » dans le cadre de l’euro masque l’urgence de définir une véritable politique économique et technologique. Emmanuel Macron, malgré une approche renouvelée sur plusieurs sujets, s’est engagé dans la périlleuse impasse de ses prédécesseurs.

Alors que la notion de « bulle médiatique » a collé à l’image d’Emmanuel Macron au cours de son ascension politique, ses premières semaines comme Président avaient agréablement surpris un certain nombre d’observateurs sceptiques ou les avaient, tout du moins, déstabilisés, en particulier sur le front de ses initiatives diplomatiques. S’il est néanmoins un domaine où il a peu surpris, c’est celui de l’Europe et des « réformes », et il semble que cette partition politique écrite d’avance soit d’ores et déjà la pierre d’achoppement de sa présidence.

Non pas que les citoyens français se passionnent pour l’Europe (ni plus ni moins que leurs voisins d’ailleurs), mais rarement avait-on vu un Président, dès les balbutiements de son quinquennat, marquer à ce point sa politique économique du sceau des contraintes européennes. C’est en ce biais, inhérent à la technostructure française, que réside le principal danger pour cette présidence.

Les soutiens, notamment médiatiques, du Président ont pris soin de remettre les « ajustements structurels » (réforme du marché du travail, réduction de la dépense publique) dans le contexte d’un « deal » européen. À la France de faire « les réformes », à l’Allemagne d’accepter enfin une fédéralisation de la zone euro. Il est à noter que Macron lui-même, bien qu’il ait semblé placer cette prémisse au cœur de son raisonnement, n’a en fait que peu alimenté le mirage d’une Allemagne prête au grand bond en avant européen. Ancien ministre de l’Économie, il connait trop bien les réticences allemandes pour s’engager explicitement sur la voie d’une inéluctable déconvenue.

CONCESSIONS ALLEMANDES CONTRE « RÉFORMES  STRUCTURELLES » FRANÇAISES : UN MIRAGE

Dès le lendemain de son élection, derrière les louanges convenues (et ponctuelles) d’une large partie de la presse allemande, certains titres influents, dont le francophobe Spiegel, n’hésitaient pas, à l’instar du ministre de finances Wolfgang Schäuble, à opposer une fin de non recevoir à l’idée d’avancées institutionnelles significatives au sein de la zone euro. Plus encore, alors que cette dernière finit par s’engager lentement sur le chemin de la reprise conjoncturelle, le gouvernement allemand fait feu de tous bois pour que la Banque centrale européenne renonce dès que possible aux mesures de soutien qui ont permis ce rebond, ne serait-ce que par la dépréciation de l’euro.

Angela Merkel ne manquera probablement pas de faire quelques concessions, notamment au sujet de la constitution d’un petit budget commun à la zone euro et de la création d’un poste de ministre des Finances du bloc, mais rien n’apparaît à l’horizon en ce qui concerne un véritable rééquilibrage. Plus que jamais, l’idée même, indispensable pour qu’une union monétaire fonctionne, d’une coordination macroéconomique est rejetée par Berlin.

Pourquoi un gouvernement qui a tenu à afficher des excédents budgétaires constants et à laisser stagner ses investissements publics à un bas niveau quand ses voisins affrontaient une situation économique explosive irait-il sacrifier sa crédibilité domestique en  acceptant des constructions institutionnelles profondément rejetées par son électorat ? L’idée d’une reconfiguration de la zone euro n’y est pas envisageable, au-delà d’arrangements cosmétiques, pour faire « fédéralistes » sans sacrifier un quelconque capital électoral.

Emmanuel Macron est trop intelligent et renseigné pour croire à la fable d’un prétendu fédéralisme européen du gouvernement allemand – idée essentiellement entretenue à Paris par quelques cercles d’autant plus brutaux dans leur « défense » d’une Allemagne fantasmée qu’ils ne s’intéressent guère à ce que pensent nos voisins d’outre-Rhin ni à leur culture, qu’ils ont tendance à mépriser comme provinciale.

LA « CONVERGENCE MONÉTAIRE » N’EST PAS UNE POLITIQUE

Il s’agit avant tout de continuer à alimenter l’idée d’un processus de convergence qui dans la réalité est une source sans fin d’erreurs économiques et de divergence de fond entre nos économies. Car un mythe, aussi européen soit-il, ne suffit guère à construire une politique économique. De la même façon que la « convergence monétaire » est erronément présentée comme un facteur de convergence économique, ces débats présentent d’intéressants paradoxes en Allemagne. Les sociaux-démocrates y prennent à cœur d’assurer le service minimum en ce qui concerne le credo de la réussite de l’euro. Car côté conservateur, on ne s’ennuie plus guère à auréoler ce système de vertus fédéralistes ou de dépassement de l’intérêt allemand qu’il n’a pas.

Si Macron a souvent été accusé d’être l’homme de la « mondialisation heureuse », il apparaît après plus ample considération comme étant personnellement à la croisée de plusieurs écoles de pensée.

Le chef de fil des économistes sociaux-démocrates allemands, les « amis de la BCE » en quelque sorte, n’hésitait pas, dans une récente tribune d’hommage à Helmut Kohl parue dans le Wall Street Journal, à comparer implicitement la production industrielle des voisins de l’Allemagne au sein de la zone euro à celle de la RDA ! Selon son argumentaire pour le moins bancal, certes l’introduction du deutschemark en Allemagne de l’Est à un taux de un pour un avait empêché toute poursuite de l’activité industrielle, mais il avait accompagné une vague de transferts et subsides en tout genre qui permettrait une convergence sur le très long terme. Tout cela pour justifier la décision de création de l’euro, qu’il attribue à l’ancien Chancelier qui n’a pourtant, en la matière, fait que céder aux pressions françaises, et l’affaiblissement nécessaire des voisins de l’Allemagne pendant une période supposée transitoire…

Macron, malgré ses élans diplomatiques qui ont rompu avec la dérive de ses deux prédécesseurs, reste aujourd’hui l’homme d’une technostructure enfermée dans une série de mythes fondateurs au service de ses intérêts corporatistes. L’idée d’un horizon politique réduit à la mise en place des « réformes structurelles » laisse perplexe. Si Macron a souvent été accusé d’être l’homme de la « mondialisation heureuse », il apparaît après plus ample considération comme étant personnellement à la croisée de plusieurs écoles de pensée. Ses anciennes sympathies chevènementistes sont réapparues comme par magie sur certains sujets mais son projet économique reste otage d’une équation qui le dépasse et le condamne politiquement comme ses prédécesseurs au calvaire de l’impopularité mais surtout de la superficialité.

Les réformes dites structurelles ne sont pas seulement impopulaires (ce qui ne serait pas si grave en soi avec un peu de courage), elles sont surtout quelque peu dérisoires par rapport aux enjeux auxquels la France fait face, dont celui de la relégation technologique.

© Photo : présidence de Russie.

Remi Bourgeot

Remi Bourgeot

est économiste, spécialiste de questions monétaires, diplômé de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (SupAéro) et de l’Ecole d’économie de Toulouse, chercheur associé à l’IRIS et stratégiste d’investissement.
Remi Bourgeot
Written by

est économiste, spécialiste de questions monétaires, diplômé de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (SupAéro) et de l’Ecole d’économie de Toulouse, chercheur associé à l’IRIS et stratégiste d’investissement.

No comments

Sorry, the comment form is closed at this time.