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Anaïs Voy-Gillis: « La souveraineté européenne n’existe pas »

– Anaïs Voy-Gillis est docteure en géopolitique et membre du collectif Chronik. Elle signe  « L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes » , aux éditions du Rocher. Un ouvrage sur la montée des mouvements nationalistes-identitaires en Europe, qu’elle analyse notamment à travers le prisme de trois crises : la crise de représentativité, la crise financière de 2008 et la crise migratoire.  

 

  • L’idée de nation et l’idéologie nationaliste sont nées en Europe. Leur retour en force dans le débat public européen est-il lié à une globalisation synonyme de déclassement des États et continent européens ?

 

Assurément la mondialisation et ses effets ont joué un rôle dans l’essor de ces idées en Europe. Sous-tendu à cela se mêle plusieurs considérations, notamment celle que l’État ne jouerait plus leur rôle de protection des citoyens. Si aujourd’hui il y a une défiance à l’encontre de l’Union européenne, il y en a également une à l’encontre des États membres et de leurs dirigeants politiques. Les différentes crises que nous avons connu en France nous enseignent qu’il y a un malaise grandissant qui est nourri par le sentiment d’impuissance des États et celui d’assister à la fin de l’ère des États comme cadre structurant. De plus, la gestion de la crise sanitaire liée à la COVID-19, avec notamment des pénuries de masques et d’autres produits nécessaires dans la gestion de cette crise, est venue renforcer ce sentiment de déclassement et d’être dépendant d’autres puissances. Ce sentiment est peut-être plus fort en France que dans d’autres pays car culturellement on se tourne assez spontanément vers l’État qui a pataugé pendant plusieurs semaines. Des images fortes ont été montrées durant la crise comme celles des soignants obligés d’utiliser des sacs poubelles faute de sur-blouses. Elles viennent alimenter cette idée de déclassement du pays et d’un État qui en voie de clochardisation.

En outre, les partis nationalistes se servent de la crise pour pointer du doigt les dérives de la mondialisation et appeler à un retour des frontières. Par exemple, Thierry Baudet, leader du parti néerlandais Forum pour la démocratie a répété à plusieurs reprises durant la crise « l’État-nation, c’est l’avenir ». C’est également l’occasion pour ces partis de rappeler qu’ils ont été les premiers à prévenir des dangers des délocalisations d’industries stratégiques, tout comme ils ont rappelé au moment de la crise migratoire de 2015 ou après chaque attentat qu’ils avaient les premiers à prévenir des risques liés à l’immigration, thème central de leur discours.

Par ailleurs, les élections européennes de 2019 ont démontré que ces idées nationalistes sont désormais solidement ancrées en Europe et disposent d’une base électorale assez solide dans chaque pays. Le vote pour ces partis n’est donc plus uniquement une logique de contestation.

 

  • Que pensez-vous de l’idée de « souveraineté européenne » promue par le président Macron ?

 

Je crois qu’il faut expliciter cette idée qui est souvent mal comprise car entre la vision que promeut Emmanuel Macron et la réalité de ce que serait une souveraineté européenne il y a deux choses différentes.

La souveraineté européenne n’existe pas aujourd’hui et est une notion discutable. Il existe en revanche 27 souverainetés nationales et des États membres avec des intérêts souvent divergents. D’ailleurs si l’on regarde les grandes décisions qu’a dû prendre l’Union européenne ces trois dernières décennies, on constate souvent un consensus sur une base minimale avec une difficultés pour les États membres de porter une vision commune en raison de leur culture, de leur histoire et de leurs représentations du monde différentes.

Néanmoins, cette notion de souveraineté européenne qu’Emmanuel Macron porte au moins depuis 2017 avec son discours de la Sorbonne, a un sens politique puisqu’elle vient questionner la pertinence de l’État-nation comme échelon de l’action politique. Cependant, la volonté d’Emmanuel Macron n’est pas de considérer l’Union européenne comme une entité souveraine, c’est-à-dire un État, puisqu’il faudrait alors remettre en cause les 27 souverainetés nationales, mais plutôt d’associer les forces des États membres pour s’assurer une indépendance commune. C’est d’ailleurs la thématique que l’on retrouve sur les questions industrielles. Ainsi, la notion d’indépendance est bien plus juste que celle de la souveraineté. Dans les différents discours où Emmanuel Macron a abordé ce sujet depuis 2017, l’idée est donc plutôt de renforcer la puissance de l’Europe pour mieux protéger les nations et non d’aller vers l’idée d’une fédération européenne par exemple.

Pour certain la crise de la COVID-19 a montré le retour en force des États-nation, mais elle est également le signe d’un tournant dans l’action européenne. Il faut voir maintenant jusqu’où ce tournant ira et s’il s’agit d’un phénomène purement conjoncturel ou d’une vraie prise de conscience des mutations structurelles dont a besoin le projet européen avec un retour à ses valeurs fondatrices.

Les partis nationalistes-identitaires se nourrissent du sentiment d’éloignement de l’Union européenne. Ils la présentent comme un élément destructeur des identités nationales et affaiblissant les États-nations. Ces idées sont ancrées profondément dans les sociétés européennes et s’opposent à cette notion de « souveraineté européenne ». Le contexte actuel facile la diffusion de ce genre de ces idées et nous également en train de payer plusieurs années où les politiques nationaux ont de l’Union européenne le bouc-émissaire de leur inaction.

 

  • Vous distinguez « extrême droite » et « droite radicale ». Pourriez-vous revenir sur cette distinction et sur sa portée en Europe ?

 

En effet, j’ai voulu faire un effort important sur les définitions car une notion est souvent employée à la place d’une autre pour qualifier ces partis.

Il est courant de considérer des partis comme le Rassemblement national ou la Ligue en Italie comme des partis d’extrême droite, mais nous pouvons également intégrer dans cette catégorie le Bloc identitaire, les néo-fascistes de CasaPound en Italie ou les néo-nazis d’Aube dorée en Grèce par exemple. Même si tous ces partis ont des idées communes, en particulier sur la question de l’immigration, et qu’ils sont en effet à l’extrême droite de l’échiquier politique, il est impossible de les renvoyer à un tout qui serait dans la continuité du fascisme ou du nazisme.

Par conséquent et afin d’introduire de la nuance dans ce kaléidoscope, des chercheurs font le choix de d’utiliser la notion de droite radicale pour qualifier les partis comme la Ligue ou le RN et les distinguer ainsi des partis ouvertement néofascistes ou néonazis. La ligne de démarcation se fait également dans le champ des pratiques politiques entre certains partis qui refusent le principe des élections par exemple et qui préfèrent investir physiquement le terrain avec des actions coups de poing très médiatisées et marquantes pour l’opinion publique (occupation du toit d’une mosquée, mission en mer Méditerranée avec le bateau C-Star pour empêcher les migrants de venir en Europe, etc.).

Maintenant en Europe, il est question beaucoup moins d’extrême droite que de populismes comme si le populisme était l’apanage de ces partis. Il s’agit à mon avis d’une approximation assez dangereuse dans le débat public. En outre, les notions de gauche et de droite ont de moins en moins d’intérêts car elles ne favorisent pas la nuance et ne représentent plus grand-chose pour beaucoup de citoyens européens ce qui oblige à repenser notre manière d’approcher ce type de partis.

 

  • Vous semblez sceptique au sujet de l’idée de « populisme ». Vous préférez décliner ce phénomène au pluriel. Pourquoi ?

 

En effet, si je ne rejette pas l’usage du terme, je crois qu’il est utilisé souvent à mauvais escient et devient un concept « fourre-tout ». Au départ, il était question de populisme pour des partis d’extrême gauche et d’extrême droite et depuis quelques années on observe en France un glissement pour réserver ce terme presque exclusivement aux partis d’extrême droite. En faisant cela, on dévoie le terme et on oublie son histoire.

Cela s’explique peut-être par le fait que certains ont considéré qu’au regard de l’évolution de ces partis, le terme extrême droite pouvait être discutable et qu’il fallait donc employer d’autres termes. Ainsi, la notion de populisme s’est progressivement imposée les concernant. Par ailleurs, « Populisme » a une connotation négative dans l’esprit de beaucoup de personnes et devient maintenant un outil pour décrédibiliser un adversaire comme l’était avant le terme d’extrême droite.

Une étude très intéressante du Tony Blair Institute for Global Change a essayé de montrer qu’il existait différentes sortes de populismes et a distingué trois tendances : les populistes dits « socio-économiques », les populistes « identitaires » et les populistes « antisystèmes ». Pour ma part, je considère qu’il s’agit d’un style politique qui se met au service d’une idéologie politique et non pas une idéologie.

Par conséquent, les partis nationalistes-identitaires n’ont pas le monopole du style populiste, ni en Europe, ni ailleurs. Nous ne pouvons donc pas les rassembler uniquement sous la bannière « populiste » car dans ce cas cela sous-entendrait que les populistes de gauche partagent la même vision du monde que ceux de droite. Or, ce n’est pas le cas.

 

  • Anaïs Voy-Gillis : « L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes » , aux éditions du Rocher.
Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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