- « Chronique de la Ve République » par Béligh Nabli & Nicolas Matyjasik
La République en Marche (LRM) et les Républicains (LR) multiplient les alliances contre nature en vue du second tour des municipales. L’occasion d’expliciter un peu plus l’appartenance idéologique de la république en marche à la grande famille des droites, ou tout du moins, montrer dans quel paradigme il se situe. Longtemps, ce parti arrivé comme un ovni dans le paysage politique il y 4 ans a clamé sa distance par rapport aux forces traditionnelles. Force est de constater que les élections municipales lèvent le voile sur son identité : son ADN est de droite. Ainsi, dans plusieurs grandes villes comme Strasbourg, Bordeaux et Lyon, les deux partis font alliance face à des listes écologistes favorites. Même à Paris, le rapprochement est acté : Florence Berthout, maire sortante LRM du 5e arrondissement, a rallié Rachida Dati avec une liste divers-droite. Une alliance qui consacre une union des droites parisiennes autour de Rachida Dati Non seulement elle est parvenue à réunifier les élus de son propre parti (tous les barons de LR, de Baroin à Hortefeux, en passant par Pécresse, sont venus défiler lors de ces réunions ou meetings de campagne), mais des figures de l’extrême droite lui ont manifesté leur soutien à cette fille d’immigrés maghrébins : Jean-Marie Le Pen, le cofondateur du Front national, Florian Philippot, le fondateur des Patriotes, mais aussi Marine Le Pen, qui s’est dite prête à « tout faire » pour que la Maire sortante ne soit pas réélue. Derrière ce paradoxe apparent, il y a là l’expression d’une convergence idéologique et politique avec l’ancienne garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy, son mentor. En atteste le programme de Mme Dati fondé sur le triptyque « sécurité, propreté, famille » calibré pour une « droite décomplexée » propice à un rapprochement au second tour entre l’extrême droite et la liste LR.
L’obsession sécuritaire
La demande de sécurité de la part des Parisiens doit être prise au sérieux. Le sens des responsabilités ne saurait pour autant à céder à la facilité du discours sécuritaire. Rachida Dati renoue avec ce qui a fait la marque de fabrique de Nicolas Sarkozy, symbolisée notamment par cette formule éculée suivant laquelle « la sécurité est la première des libertés ». Une idée juridiquement fausse et politiquement dangereuse.
Elle juridiquement fausse, car il n’existe pas en droit français de hiérarchie des droits fondamentaux. Il est concevable de les classer en diverses catégories, mais il est inconcevable de les hiérarchiser sans porter atteinte aux caractères indivisible, universel et inaliénable des droits de l’Homme : « sauf à recourir à des postulats ou à des prémisses indémontrables, aucune démarche, théologique, rationaliste, matérialiste ou autre, ne peut établir une hiérarchie des droits, qu’elle la fonde sur une essence présupposée, sur une utilité prédéterminée, sur un bienfait pré-qualifié. Dès lors qu’ils expriment une aspiration de l’homme, ses droits sont tous équivalents dans leur nécessité comme dans leur légitimité »[1].
Politiquement, le slogan suivant lequel « la sécurité est la première des libertés » s’inscrit dans la lignée d’une philosophie hobbesienne[2] faisant primer la garantie de la sécurité sur celle des libertés. Une dialectique au cœur du discours sécuritaire qui s’est diffusé dans le débat public par la voix de J.-M. Le Pen, avant d’être repris in extenso par Nicolas Sarkozy et Manuel Valls. Un slogan et un discours devenus transpartisans et dominants, témoignant en cela du phénomène de « lepénisation des esprits » qui caractérise la bataille culturelle et idéologique de ces dernières décennies. D’ailleurs, l’écrivain François Sureau, un des soutiens de la première heure du Président Macron mais qui s’est maintenant désolidarisé, le dit très clairement : nous avons sacrifié la liberté pour la sécurité.
La stratégie du repli sur soi
Il n’y a pas que le discours sécuritaire qui nourrit la convergence entre le programme de Rachida Dati et l’extrême-droite. La thématique migratoire et identitaire contribue à cette jonction politique et idéologique.
Suite aux fusillades à caractère raciste qui avaient visés des musulmans en Allemagne, ayant fait 9 morts, l’ancienne ministre sarkozyste n’avait pas hésité à considérer qu’Angela Merkel « payait aujourd’hui au prix fort » l’ouverture massive des frontières et l’accueil en 2015 de plus d’un million de migrants. Elle précisa sa « pensée » en évoquant cette fois-ci la situation dans la ville de Paris : « la majorité [des migrants] n’ont pas la même conception du vivre ensemble que la nôtre, n’ont pas conscience de nos valeurs républicaines, (…) aujourd’hui il y a des affrontements ». En assumant le lien entre réfugiés et insécurité, ce sur fond de stigmatisation de l’autre, on a l’étrange impression de revivre l’esprit qui souffla sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), dont les campagnes présidentielles de 2007 et 2012 ont été marquées par le triptyque immigration-identité-sécurité. Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs repris le slogan que d’autres à l’extrême-droite proféraient avant lui : « La France, on l’aime ou on la quitte »…
Si la stratégie du chef de l’Etat visait à conquérir un espace politique occupé par l’extrême-droite (et à « siphonner » l’électorat du FN), la création en mai 2007 d’un ministère accolant dans son intitulé les termes « immigration », « intégration » et « identité nationale » reste dans toutes les mémoires. Officiellement, ce nouveau ministère devait déjà répondre à des finalités répressives, anti-migratoires : lutte contre l’immigration illégale, contre la fraude documentaire des étrangers, contre le travail illégal des étrangers et sur la politique des visas, chiffrage des étrangers « irréguliers » à expulser. Cette production idéologique étatique constitue un fait sans précédent dans l’histoire de la République française, produit malgré tout d’une lente transformation de la culture politique française. Le ministère de l’identité nationale a été supprimé, quand l’idéologie identitaire continue, elle, d’accaparer l’agenda politique de la droite et de l’extrême droite, annonçant un « programme commun » en 2022.
C’est dans ce contexte historique et idéologique qu’il faut aussi situer les alliances, que ce soit à Paris ou à ailleurs, entre LR et LRM, une droitisation du parti présidentiel et une reconfiguration de la droite autour d’un projet politique dur. Les rapprochements ne sont pas neutres.
[1] MOURGEON (J.), Les droits de l’homme, PUF, « Que sais-je ? », 2003, p. 9-10
[2] Les racines philosophiques remontent à Thomas Hobbes (Le Léviathan), qui a théorisé un Contrat social par lequel les individus acceptent de renier leurs libertés contre la garantie de la sécurité par un État absolutiste protecteur de l’intégrité des corps et des biens.
- Image : Photo de Soizic Bonvarlet
– Nicolas Matyjasik est politologue. Il a co-dirigé, avec Marcel Guenoun, l’ouvrage En finir avec le New Public Management, éditions IGPDE, 2019.
– Béligh Nabli est juriste et essayiste. Il est l’auteur notamment de L’Etat. Droit et politique, Armand colin, Coll. U, 2017