Le nouveau gouvernement acte le choix de l’hyper présidentialisation du mandat d’E. Macron. Un choix politique synonyme aussi d’hyper personnalisation, qui menace in fine la pérennité du régime de la Ve République.
– Par Clément Bollardière, Haut fonctionnaire
Après 3 ans de présidence marquées par la crise des gilets jaunes, le Covid 19 et le fiasco électoral du parti présidentiel aux municipales du 28 juin, le choix de Jean Castex aurait pu être écrit par le prince de Lampedusa « il faut que tout change pour que rien ne change ». Cette séquence témoigne d’une inquiétante dérive du pouvoir présidentiel : on ne semble tirer sur le fond aucun enseignement des crises passées et on accentue une hyper présidentialisation qui montre depuis des décennies ses limites.
Le Président se trouve à la croisée des chemins : soit sa volonté d’hyper interventionnisme à tous les niveaux est couronnée de succès en 2022, soit son éventuel échec accentuerait toutes les carences manifestées par la Vème République, pouvant déboucher sur un possible nouveau régime politique.
Après quelques semaines d’incertitudes, Emmanuel Macron a clos le suspense en ne reconduisant pas Edouard Philipe et en nommant Jean Castex au poste de Premier ministre. A un homme de droite qui n’a pas démérité, succède un autre homme de droite. Cette nomination est doublement instructive sur les intentions du Président de la République. Tant sur l’orientation politique à venir que sur sa pratique du pouvoir.
Fin de l’ambiguïté sur la nature idéologique du Macronisme et droitisation confirmée
En premier lieu, elle acte l’ancrage du Macronisme dans une configuration politique de droite. La nomination de Philippe en mai 2017 dans la foulée de l’élection présidentielle et de l’esprit de « l’en même temps » pouvait encore passer pour une volonté d’ouverture politique, doublée d’une habile opération de débauchage visant à affaiblir la droite de gouvernement.
3 ans après, le choix d’un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, réélu triomphalement maire de sa commune sous l’étiquette LR (dont il n’a démissionné que le jour même de sa nomination), ôte toute ambiguïté sur les choix du Président. Le choix est clairement de demeurer dans le schéma de l’ordo-libéralisme, quitte à se couper des anciens soutiens de gauche et des électeurs progressistes ayant fait confiance à Emmanuel Macron en 2017.
Les élections municipales de mars et juin 2020 dissipent toute illusion sur un réel équilibrage entre droite et gauche : la majorité des maires sortants investis ou soutenus par LREM proviennent du centre droit, de nombreuses alliances conclues entre les deux tours entre des listes LR et LREM ont accouchées de coalitions anti-écologistes et anti-climat au discours d’un autre âge, rappelant les anathèmes entendus sur la gauche lors de son retour aux affaires en 1981. La figure « des cosaques à Paris » étant remplacée par celle déjà largement éculée des « khmers verts » , ce qui a entraîné le dépit d’un soutien de la première heure du Président, Daniel Cohn-Bendit. Ces combinaisons ont d’ailleurs fini de dissuader les électeurs Macronistes venant de la gauche de voter pour ces curieux attelages. Arithmétiquement gagnants, les duos LR/UDI/LREM ont été balayés à Bordeaux, Strasbourg ou Annecy.
Les électeurs de gauche de Macron, qui avaient déjà déserté le vote LREM au 1er tour à Paris ou Lyon, on été perdus. Le Président l’a acté et ne semble même plus chercher à les retenir. Preuve en est avec le nouveau gouvernemen où les deux plus puissants ministères (Bercy et Beauvau) sont occupés dorénavant par deux transfuges de LR, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. La nomination de ce dernier en dit long sur le cheminement idéologique du Président. Confronté en octobre 2018 au départ de Gérard Collomb, il avait à l’époque été dissuadé par son entourage de nommer au poste de ministre de l’Intérieur des candidats clairement estampillés Sarkozytes (dont déjà Jean Castex). Moins de deux ans plus tard, c’est lui qui accepte de confier Matignon ainsi que le ministère des élections à des personnalités demeurant proches de l’ancien Président. L’ambiguïté n’est plus de mise et les strapontins laissés à des ministres de gauche ne doivent plus faire illusion. C’est bien à un électorat de droite et de centre-droit que le Président compte s’exprimer en priorité.
Cette droitisation n’est pas sans conséquences sur le plan des équilibres au Parlement. Le groupe parlementaire LREM pléthorique en juin 2017 (308 députés) a définitivement perdu sa majorité à l’assemblée nationale fin mai avec la création d’un nouveau groupe parlementaire à la forte tonalité écologique et socialiste. Création suivie quelques semaines plus tard par un groupe jumeau…mais lui ancré à droite. Sur le plan local comme national, le processus de recomposition en œuvre depuis 2017 se poursuit….mais cette fois au détriment de LREM. Cette situation rend encore plus tributaire le pouvoir actuel du soutien de partis situé à droite de l’hémicycle (MODEM, Agir et le parti radical).
Entre la nomination de Castex et la possible volonté présidentielle de confier plus de place politiquement à Edouard Philippe dans la perspective de 2022, on peut légitiment s’interroger sur le rôle dévolu à l’avenir à LREM. Rarement un parti sous la Vème République aura aussi peu imprimé sur l’opinion avec une direction inaudible et une pratique politique plutôt malheureuse (sa commission nationale d’investiture étant ce qui se fait sans doute de pire en termes d’erreur de castings, ses choix de candidats pour les municipales de 2020 n’ayant pas été des plus heureux). Plus que la place de LREM, et à l’heure où la logique de cartel électoral semble primer à l’Elysée, c’est même l’avenir de ce parti qui interroge.
Isolement et pauvreté du Macronisme politique
A l’étiquette de droite revendiquée du nouveau titulaire de Matignon, s’ajoute la poursuite de l’effacement de la fonction de Premier ministre. En effet, ce n’est pas un sujet de positionnement politique qui explique la non reconduction d’Edouard Philippe puisqu’un Juppéiste est remplacé par un Sarkozyste et il ne semble pas devoir attendre une grande inflexion de la politique menée, sauf peut-être de manière cosmétique sur l’écologie.
La poursuite d’une hyper présidentialisation est donc amenée à se poursuivre. La nomination (n’en déplaise à Mr Castex) d’un « collaborateur » l’attestant. Des observateurs bienveillants ont rappelé ce week-end que la nomination d’un simple collaborateur était une figure maintes fois utilise dans le cadre de la Vème République, citant les exemples de Georges Pompidou en 1962 ou Raymond Barre en 1976 qui de surcroît n’avaient même pas bénéficié à l’époque de l’onction du suffrage universel, à la différence de Jean Castex à Prades dans les Pyrénées Orientales.
Dans ce genre d’analyse, il convient toujours de se méfier des analogies, et on risque vite de tomber dans l’anachronisme. Si l’on rentre dans le jeu de la comparaison, le constat se révèle implacable pour la pratique du pouvoir Macronien tant elle se caractérise par son isolement et la pauvreté tant de discours que de son personnel politique.
La comparaison avec les pères fondateurs de la Vème s’avérait trop cruelle pour l’exécutif. D’autant qu’elle risquerait de dissiper des mythes tenaces invalidant la pratique présidentielle du moment. Au delà d’une image mythifiée par sa « traversée du désert » entre 1946 et 1958, De Gaulle s’il décidait seul était un chef d’Etat très entouré, tant par des ministres talentueux, qu’un appareil d’Etat inspiré et novateur (on est alors en pleines « trente glorieuses »), et un parti politique très efficace électoralement.
Par rapport au modèle initial, la Macronie souffre de la comparaison : ministres à de rares exceptions incarnant peu ou mal la fonction, direction inaudible, parlementaires pour la plupart inconnus des français. Le gaullisme triomphant des années 60 et 70 a accouché de figures marquantes comme Pompidou, Chaban-Delmas, ou Debré, et il pouvait compter sur un vrai tacticien politique, Jacques Foccart, personnage controversé mais redoutablement efficace. On peine à trouver de tels talents dans l’écurie macroniste dont l’état-major a montré toutes ses limites dans sa gestion des municipales de 2020.
Cet amateurisme du personnel politique macroniste est à relier avec l’isolement du Président. Jamais de mémoire dans la Vème République, un pouvoir présidentiel n’a semblé aussi isolé et coupé des forces vives du pays. En dehors de ses victoires de 2017, Emmanuel Macron ne peut s’appuyer à la différence de ses prédécesseurs ni sur un parti puissant, ni sur des équipes ministérielles expérimentées ou encore sur un réseau intellectuel influent.
Sans tomber dans les excès d’un François Ruffin (auteur d’un livre sur le Président au titre provocateur « ce pays que tu ne connais pas ») ou de la formule maurassienne sur l’opposition entre « pays légal » et « pays réel », on ne peut que s’interroger sur la faible attraction de la galaxie macroniste (ce constat avait déjà été fait dans notre article d’octobre 2018 sur les impasses du macronisme, http://egalites.blogs.liberation.fr/2018/10/08/les-impasses-politiques-du-macronisme/). Alors que les résultats de 2017 lui laissaient un boulevard, l’exécutif aura finalement reçu assez peu de ralliements, se limitant à des opérations relevant plus du braconnage électoral que d’une vraie stratégie politique.
La figure de Jean Castex ne semble pas de nature à sérieusement concurrencer le Président, ce qui semblait devenir le cas avec Philippe. L’idée étant de continuer dans une hyper présidentialisation aux résultats peu probants. Cette pratique des institutions est doublement mortifère. Du fait des moyens limités de l’Elysée, elle ne peut résoudre tous les problèmes et cet excès de zèle élyséen empêche les ministres d’incarner réellement leur politique. Cette absence pour les français d’un ministre identifié à une politique nourrit l’insatisfaction et le sentiment que le gouvernement est impuissant. Pour ne prendre qu’un exemple, Jean-Pierre Chevénement et encore plus Nicolas Sarkozy avaient su incarner de manière il est vrai controversée la politique de Beauvau. On ne peut pas en dire autant de Christophe Castaner qui n’avait jamais su s’imposer en patron à l’égard de ses troupes et guère plus dans l’opinion.
Le Président aurait pu ouvrir le jeu afin d’insuffler plus de respiration au travail gouvernemental en nommant une personnalité expérimenté. Il n’en a rien été. Au delà de sa propension à la verticalité, le Président a sans doute aussi dû constater son faible pouvoir d’attraction pour attirer une personnalité d’envergure, ce qui renforce les critiques sur un management fébrile qu’avaient déjà révélés les démissions successives de Nicolas Hulot et Gérard Collomb en 2018 . Avec la nouvelle équipe ministérielle constituée, la perplexité demeure sur les raisons poussant le Président à nommer ministre de la culture une ancienne figure Filloniste reconvertie dans les médias (Bachelot) ou un ténor controversé du barreau (Dupont-Moretti). Si ce n’est peut-être la volonté d’incarner médiatiquement des fonctions ministérielles peinant à exister faute de projet politique consistant.
Au bout de l’hyper présidentialisation….la fin annoncée de la Vème République ?
Ce choix d’une verticalité réaffirmée ressemble de plus en plus à une impasse. Il convient de s’interroger sur cet acharnement à perpétuer un régime politique créé par un homme né au 19ème siècle et ayant connu deux guerres mondiales. Régime exigeant, la Vème République n’est peut-être plus le régime adapté. La récente crise du Covid 19 a d’ailleurs montré toutes les carences de l’action publique à commencer par sa lourdeur et ses multiples incohérences.
Le satisfecit accordé par Emmanuel Macron a sa propre action et à celle de l’exécutif a de quoi laisser songueur tout comme sa volonté de revenir sur la réforme des retraites (qu’aucune partenaire social y compris le MEDEF ne juge urgent de relancer immédiatement). Dans un pays durement affecté par le Covid 19 (près de 30 000 morts et plus de 500 milliards d’euros cumulés de déficit pendant la crise), la priorité serait plutôt dans des plans de relance annoncés à tout bout de champ depuis plus de 3 mois mais qui tardent à se concrétiser.
Plutôt que de céder à la figure de l’homme providentiel, le Président devrait songer à ces dizaines de maires écologistes élus dimanche dernier. Parfaits inconnus pour la plupart, ils ont terrassé nombre de figures locales incontournables avec la force d’un projet et d’un discours de rupture par rapport aux pratiques municipales passées.
En personnalisant à nouveau les enjeux, le Président ne joue peut-être pas que sa survie politique en 2022. Un échec actant l’impasse de l’hyper présidentialisme pourrait signifier la fin d’un régime qui peine à se renouveler et à créer du sens et ouvrir une nouvelle séquence politique.
Les derniers articles par La rédaction (tout voir)
- La démocratie confisquée - 20 mars 2023
- Face à l’effondrement du vivant : l’urgence de revoir notre rapport au sol - 13 mars 2023
- Macron et le macronisme : l’animal politique sans pensée politique - 12 mars 2023