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Direction Moscou

La liste des vingt-trois joueurs français choisis par Didier Deschamps qui prendront, sauf blessure de dernière minute, la route de la Russie dans quelques semaines, est désormais connue. Kylian Mbappé, Florian Thauvin, Alphonse Areola, Antoine Griezmann… défendront les couleurs de la France dans un Mondial ouvert, peut-être jusqu’à la finale à Moscou, le 15 juillet. Jeunes prodiges et rares tauliers ont pour l’heure rendez-vous le 16 juin avec l’Australie au Kazan Arena, dans un pays dont le choix a été, et reste encore aujourd’hui, tout sauf neutre.

À l’heure où, vingt ans après, Michel Platini reconnaît quelques « magouilles » dans l’organisation des poules de la Coupe du Monde 1998, plus personne n’interroge le choix de la Russie comme organisatrice de l’édition 2018. Celle à venir, au Qatar (attribuée par une double décision de 2007 contestée pour de fortes présomptions d’irrégularités), soulève en effet bien plus de questions, qui ne portent pas seulement sur les conditions d’attribution mais aussi sur les aménagements dans les calendriers sportifs auxquels elle oblige.

Et l’ardoise de trente-six milliards d’euros des Jeux Olympiques de Sotchi de l’hiver 2014 est déjà bien loin dans les esprits (perte de mémoire médiatique que l’on peut déplorer, mais qui est un fait).

 « RUSSIA 2018 »

Bien sûr, le Mondial masculin de football constituera une vitrine pour Vladimir Poutine et son pouvoir, d’autant plus que le Président américain, Donald Trump (dont le pays est aujourd’hui candidat à la co-organisation de la Coupe du Monde 2026), fait de plus en plus le choix de l’unilatéralisme forcené et inconséquent sur la scène internationale.

Doit-on pour autant vouloir réserver l’organisation des grands événements sportifs – au premier titre desquels les Jeux Olympiques et les Coupes du Monde de football – à une poignée d’États jugés plus respectables que les autres, dans un monde où le concept de « démocrature » semble s’épanouir de plus en plus ?

La question s’est posée, pour ne parler que des dernières années, pour les Jeux d’été de Pékin de 2008, alors que la Chine soutenait le gouvernement soudanais d’Omar al-Béchir, principal responsable de la crise humanitaire au Darfour, persécutait ses dissidents politiques et que des heurts violents ont opposé policiers chinois et manifestants tibétains en mars 2008, pour les Jeux d’hiver de Sotchi de 2014, pour les Mondiaux russe et qatari de 2018 et 2022… Et elle risque de se poser encore. Et encore. 

Car faut-il vraiment, au nom du non-respect du droit international et des droits de l’Homme par leurs dirigeants, priver des peuples entiers de la fierté d’accueillir de grands événements sportifs ? Bien sûr, les promesses des dossiers de candidature sur l’amélioration des situations économique, sociale et environnementale n’engagent que ceux qui les croient, et se traduisent rarement dans les faits par de vrais progrès.

Mais il faut aussi garder à l’esprit qu’alors que les démocraties occidentales s’interrogeaient, début 2008, sur un éventuel boycott des Jeux de Pékin, le dalaï-lama, lui, s’exprimait contre, dans des mots qui pensaient aux citoyens chinois avant d’être tournés leurs dirigeants : « Je souhaite ces Jeux. Le peuple chinois (…) a besoin de se sentir fier. La Chine mérite d’accueillir les Jeux Olympiques. »

Même si les grands événements sportifs contribuent à conforter les hommes au pouvoir dans les pays qui les accueillent, d’autant plus quand les régimes ne sont que partiellement démocratiques, ce sont aussi des moments importants pour les peuples des nations-hôtes, qui leur permettent de voir entrer chez eux, avec les centaines de milliers de spectateurs, le monde entier.

DES CHOIX SANS AUDACE PARTICULIÈRE, MAIS SÉRIEUX

Les vingt-trois sélectionnés par Didier Deschamps, qui a dévoilé sa liste le 17 mai, au lendemain de la finale de la Ligue Europa perdue par l’Olympique de Marseille face à l’Atletico Madrid, auront-ils en tête ces questions au moment de rejoindre leur camp de base d’Istra ou se concentreront-ils sur les seuls enjeux sportifs ? La deuxième option paraît plus plausible. Car elle a tout à prouver, cette équipe de France construite sur le pari de la jeunesse (seuls six joueurs ont participé au Mondial 2014 et neuf, à l’Euro 2016), bien moins favorite que le Brésil, l’Espagne ou l’Allemagne. 

Les choix du sélectionneur ont peu surpris. Les jeunes pousses de l’équipe de France font partie des joueurs les plus suivis de la planète : l’attaquant parisien Kylian Mbappé, bien évidemment, mais également le défenseur madrilène Lucas Hernandez – dont le choix de la sélection française était encore incertain en début d’année après qu’il avait fait, lui qui vit depuis 18 ans dans la péninsule ibérique, des démarches pour obtenir la nationalité espagnole –, ou encore l’attaquant barcelonais – mais peut-être plus pour longtemps – Ousmane Dembélé, formé à Évreux. Cela peut être pour eux, qui n’ont respectivement que 19, 22 et 21 ans, le début d’une grande carrière d’internationaux.

1998 – 2018 : la comparaison n’est pas au désavantage de la génération actuelle. Avant le début de la compétition en tout cas. Car elle est plaisante, cette équipe de France. Elle l’est aussi par ce qu’elle dit du championnat français.

Retenir une sentinelle comme Steven Nzonsi apparaît par ailleurs comme l’option du bon sens et du sérieux : l’équipe de France aura autant besoin de flamboyance que de solidité. Les incontournables, enfin, d’Antoine Griezmann à Hugo Lloris en passant par Blaise Matuidi, n’ont logiquement pas été contournés.

Sur le plan sportif, on regrettera, bien sûr, l’absence cruelle de l’incandescent Dimitri Payet, tout en saluant la décision de Didier Deschamps, lequel ne peut intégrer dans un groupe qui se donne comme objectif d’atteindre les demi-finales un joueur rendu incertain par une blessure aux ischio-jambiers. Toutefois, en ce sens, son choix de retenir Benjamin Mendy, dont on ne sait s’il est véritablement remis de sa rupture des ligaments croisés de septembre 2017, ne se comprend pas tout à fait.

GAGNER, VINGT ANS APRÈS ?

Sur le plan de la gestion des hommes, et eu égard au caractère fortement politique pris par la question (dimension politique qu’il vaut mieux toujours prendre le soin d’évacuer à l’entame d’une compétition importante), le sélectionneur des Bleus n’a pas retenu l’attaquant Karim Benzema, pourtant en grande forme en Champions League avec le Real Madrid ; mais personne n’aurait parié un kopeck sur une telle hypothèse.

Karim Benzema, c’est un peu l’Éric Cantona (qu’Aimé Jacquet avait fait le choix, au regard de son fort caractère, de ne pas sélectionner en 1998) de 2018, mais c’est aussi plus que ça. Ils sont rares – n’est-il pas le seul d’ailleurs ? – les joueurs qui ont vu un Premier ministre déclarer à leur seule intention « un grand sportif doit être exemplaire. S’il ne l’est pas, il n’a pas sa place en équipe de France. »

1998 (Kylian Mbappé n’était même pas encore né) – 2018 : la comparaison n’est pas au désavantage de la génération actuelle. Avant le début de la compétition en tout cas. Car elle est plaisante, enfin, cette équipe de France, et elle l’est aussi par ce qu’elle dit du championnat français. Même si, bien sûr, les aficionados vous affirmeront toujours la supériorité des footballs espagnol, anglais, allemand et italien – l’ordre est important –, plusieurs joueurs français qui n’ont pas à rougir lors des compétitions internationales évoluent au quotidien sur les terrains hexagonaux, et pas uniquement dans les chaudrons de Madrid ou de Londres, et pas du fait du seul Paris-Saint-Germain.

Dans la liste des vingt-trois, neuf joueurs évoluent en Ligue 1, dans quatre clubs différents : trois à l’Olympique de Marseille, trois au PSG, deux à l’AS Monaco et un à l’Olympique lyonnais. Il y a vingt ans, lors de cette fameuse Coupe du Monde organisée dans l’Hexagone et remportée par les Bleus, sur les vingt-deux joueurs sélectionnés par Aimé Jacquet, neuf également évoluaient en France, dans des clubs comme Monaco et Marseille déjà, dans des formations qui ont connu par la suite des destins plus compliqués également (à l’image du FC Metz ou de l’AJ Auxerre).

N’en doutons pas, les Bleus devront être grands pour aller loin lors cette nouvelle campagne de Russie. Mais n’en doutons pas non plus, les vingt-trois footballeurs choisis par Didier Deschamps ont individuellement et collectivement les moyens de faire quelque chose d’impressionnant.

© Photos: Flickr et Pixabay

Agathe Cagé

Agathe Cagé

est politiste. Ancienne élève de l’ENS et de l’ENA, elle a été conseillère puis
directrice adjointe du cabinet des ministres de l’éducation nationale de 2014 à 2017, avant de
devenir secrétaire générale de la campagne de Benoît Hamon, candidat à l’élection
présidentielle. Elle préside le think tank Cartes sur table, qu’elle a cofondé...
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