Après « 8 fois debout » et « Les Conquérants », le nouveau film de Xabi Molia, « Comme des rois », doit être vu, tant pour la prestation de ses acteurs que pour la force de son propos. Le spectateur n’en sort pas tout à fait indemne. « Il n’y a plus d’argent dans ce pays. » La sentence claque entre les barres d’une de ces dizaines de cités déshéritées de la province française. Ces cités loin de Paris et sans espoir, et pour lesquelles il y en a peu, d’espoir, que le récent rapport Borloo, malgré plusieurs de ses propositions détonantes, change la moindre chose. Même si elle voit le jour, l’Ecole 42 du pouvoir donnera sa chance à une dizaine de jeunes chaque année. Et les autres ? Resteront-ils condamnés à un destin semblable à celui de Micka, l’un des deux principaux protagonistes de Comme des rois, le film de Xabi Molia, interprété avec force par le jeune acteur suisse Kacey Mottet Klein (que l’on a déjà vu, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, devant les caméras d’André Téchiné, d’Ursula Meier et de Joann Sfar) ? Micka vit chez ses parents – sa mère est interprétée par la toujours remarquable Sylvie Testud et son père Joseph, campé par le toujours plus surprenant Kad Merad –, avec sa sœur, qui attend son deuxième enfant, son neveu et sa grand-mère, qui vient de fêter ses 85 ans. La mère tente de gagner un peu d’argent en gardant chez elle les enfants des autres. Le père est un escroc à la petite semaine et aux combines médiocres, qui tente sans réussite de maintenir sa famille sous un toit dont il parviendrait à payer le loyer. La reproduction sociale de la débrouille Micka vend à des gamins pour trois euros le droit de mater aux jumelles, sur le toit d’un immeuble, les fenêtres des barres d’en face. Micka suit, en traînant jour après jour un peu plus les pieds, son père dans des arnaques chaque fois plus minables et périlleuses, de la vente au porte-à-porte de faux grands crus confectionnés dans un garage au cambriolage de retraitées seules et inattentives. Joseph, dont les idées foireuses succèdent aux idées foireuses, a été formé à ces escroqueries par son père. Il tente de former à son tour son fils. Et le tire inexorablement vers le bas. Malgré les alertes de sa femme et de sa fille. Malgré les alertes de son fils lui-même. Micka, le personnage de « Comme des rois », n’est pas un raté. C’est un jeune adulte attachant, empêché de faire ses preuves. Il y a si peu de place pour les Rastignac aujourd’hui. Micka n’a pas le bac. Micka a du talent. Il sait faire l’acteur et une grande école parisienne de formation de comédiens l’admet en son sein après une audition réussie. Mais se payer une école, c’est cher ; vivre à Paris, c’est cher, ne serait-ce qu’être accepté par un propriétaire relève du parcours du combattant. L’assignation sociale se fait assignation territoriale quand il n’y a pas d’argent pour tenter sa chance ailleurs. Comme des rois dit la relégation sociale et territoriale et la France d’aujourd’hui. Un monde dans lequel toute forme de solidarité – sauf celle intéressée de quelques dealers et une amitié d’adolescence solide – semble avoir disparu et les services publics, n’être plus qu’un lointain souvenir dans les cités. Une tragédie au sens littéral du terme Un monde dans lequel on fixe des règles de répartition des champs où l’on a le droit d’aller voler quelques patates. Un monde dans lequel même les plus démunis se font dépouiller de leurs maigres trésors par d’autres dans la même situation qu’eux. Un monde que Laurent Alexandre ne connaît pas, lui dont les « analyses » censées dénigrer les travaux de Pierre Bourdieu sur les mécanismes de la reproduction sociale prêteraient à sourire si elles n’étaient pas à pleurer. La débrouille a ses limites, et c’est tout le drame de Comme des rois. Un film écrit comme une tragédie. La vie décrite comme une tragédie. Les protagonistes peuvent toujours tenter de se débattre. Les enchaînements sont implacables et le destin, funeste. On regarde Comme des rois comme on relit l’Antigone d’Anouilh… « Dans la tragédie, on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents, en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier – pas à gémir, non, pas à se plaindre –, à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble, c’est utilitaire. Là, c’est gratuit. C’est pour les rois. Et il n’y a plus rien à tenter, enfin ! ». Micka est un roi de tragédie. Parce que le poids du déterminisme social ne lui permet pas de vivre sa vie. On pense furtivement, en voyant Comme des rois, au film irlandais Killing Bono de Nick Hamm mais on oublie vite. Car Joseph, à l’inverse de Neil McCormick, ne poursuit plus aucun rêve depuis longtemps et Micka n’est pas un raté ; c’est un jeune adulte attachant, empêché de faire ses preuves. Il y a si peu de place pour les Rastignac aujourd’hui. Le « À nous deux Paris » de Micka, lancé à la Tour Montparnasse au milieu d’un coup de fil, ne peut pas avoir de lendemain. Comme des rois fait mal. C’est un film court, brut, fort. À voir pour ce qu’il montre de la France telle que nous l’avons laissé devenir, sans pathos, sans excès, crûment. Tout simplement. « Comme des rois », de Xabi Molia, sortie le 2 mai 2018. © Photo : Flickr
Agathe Cagé
directrice adjointe du cabinet des ministres de l’éducation nationale de 2014 à 2017, avant de
devenir secrétaire générale de la campagne de Benoît Hamon, candidat à l’élection
présidentielle. Elle préside le think tank Cartes sur table, qu’elle a cofondé...
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