François Saltiel est journaliste, auteur et producteur. Il officie chaque jour sur le plateau de « 28 Minutes » sur Arte. Il a réalisé plusieurs documentaires pour France Télévisions et co-fondé sa structure de production, Art2voir, en 2007. Il enseigne à l’Université Sorbonne Nouvelle et à l’Institut Français de Presse. François Saltiel est également membre du Club XXIe siècle et ambassadeur TEDx Women. Il vient de publier « Le vendeur de thé qui changea le monde avec un hashtag » aux éditions Flammarion. Chronik.fr l’a rencontré à l’occasion de la sortie de cet ouvrage.
Chronik.fr : Des #WomenMarch et de #MeToo à #OscarsSoWhite et #MyStelathyFreedom, en passant par #BlackLivesMatter et #BringBackOurInternet, votre livre raconte 10 histoires différentes et cependant semblables, dans le sens où elles permettent aux « sans voix » de se faire entendre, et beaucoup sont du reste des mobilisations de femmes. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette mise au jour vous importait ?
F. S. : À l’origine du livre, je n’avais pas l’intention de mettre spécialement en lumière le combat des femmes mais celui-ci s’est imposé à moi ! Les mobilisations féminines numériques sont à mon sens les plus puissantes et les plus sincères. Des Saoudiennes qui se battent pour obtenir le doit de conduire aux Iraniennes qui luttent contre le port du voile obligatoire, les réseaux sociaux sont une magnifique caisse de résonnance. Un endroit souvent à l’abri de la censure, nécessaire pour exprimer librement une discrimination et organiser une contestation.
L’année 2017 s’est ouverte sur une grande marche des femmes (#WomenMarch), initiée par une retraitée hawaïenne sur Facebook, et s’est refermée par l’émergence du mouvement #MeToo contre les violences sexuelles. Les femmes se sont levées, la parole s’est libérée et les sphères médiatiques comme politiques semblent avoir pris la mesure du phénomène. Reste à renforcer concrètement, en France comme ailleurs, les dispositifs législatifs.
La défense des énergies positives s’inscrit à contre-courant de notre époque qui plonge plus facilement dans le cynisme et la critique systématique.
À l’heure où la question des inégalités femmes-hommes est au centre des débats, cela me semble intéressant de souligner la puissance libératrice jouée par les réseaux sociaux. Ils sont sans conteste un outil majeur du féminisme au XXIe siècle.
Chronik.fr : Partir de 10 hashtags, n’est-ce pas finalement un prétexte, un point de départ pour décrire certaines évolutions sociales et politiques ? La technologie n’est pas un simple outil, elle change les pratiques mobilisatrices. Souhaitiez-vous aller à l’encontre de l’idée répandue que la jeunesse, en particulier occidentale, est dépolitisée et individualiste?
F. S. : Oui, le hashtag est un formidable prisme pour raconter nos sociétés contemporaines. Chacune des 10 histoires remonte aux origines d’un hahstag et met en scène les personnes qui l’animent. Je m’en suis servi tel un tapis volant pour découvrir le monde. Le hashtag a également le grand mérite d’être universel et fédérateur. Partir de la petite histoire d’un hashtag pour tenter d’explorer la grande, c’est un des concepts de l’ouvrage.
La jeunesse occidentale a démontré que son smartphone pouvait aussi être une arme et pas uniquement un outil de divertissement avilissant ; les lycéens de Parkland, aux États-Unis, ont pris la parole sur les réseaux sociaux pour organiser une campagne de boycott contre les constructeurs d’armes et la NRA. Ils se sont opposés aux vaines déclarations de leur Président pour exiger un changement législatif.
En utilisant les réseaux sociaux tout en suscitant un intérêt médiatique, ces jeunes Américains ont dépassé leur statut de victimes pour s’engager dans le débat public en devenant des militants. La contestation lycéenne a toujours existé dans l’histoire mais cette fois-ci, elle est devenue incroyablement audible grâce à la caisse de résonnance offerte par les réseaux.
Prenons l’exemple de la LoveArmy créée par la star du net Jérôme Jarre : son action contre la famine en Somalie a mobilisé des dizaines de milliers de jeunes pour nourrir la campagne de financement participative (cagnotte clôturé à 2,7 millions de dollars), les « Millénials », souvent décrits comme égocentrés ou coupés du monde, ont prouvé qu’ils pouvaient être des citoyens du monde, concernés par le sort de leur prochain. Peut-être que Jérôme Jarre représente ce leader d’opinion qu’il manque dans l’espace médiatique traditionnel.
Chronik.fr : Les réseaux sociaux permettent de briser les murs, de passer les frontières, alors que beaucoup ne pensent qu’à les rétablir ou les renforcer. Ceux-ci utilisent du reste à plein le système de la « filter bubble » des réseaux sociaux pour consolider les entre-soi haineux et excluants. Considérez-vous que vous vous inscrivez vous-même, avec ce livre, dans une démarche engagée ?
F. S. : C’est une démarche engagée dans le sens où la défense des énergies positives s’inscrit à contre-courant de notre époque qui plonge plus facilement dans le cynisme et la critique systématique. Au risque de paraître naïf, j’ai souhaité explorer la face lumineuse des réseaux sociaux, sortir de l’image médiatique qui les enferme trop souvent dans le pire, de l’exutoire de la « fachosphère » au cyber-harcèlement.
Je ne suis néanmoins pas dupe, nous cédons à ces entreprises nos données personnelles et une grande partie de notre attention mais si nous savons pertinemment les utiliser, ils peuvent être aussi un formidable outil d’émancipation, de connaissance de l’autre et de solidarité. Je n’ai pas peur de dire que grâce à l’action courageuse et bienveillante de certains de ses usagers, les réseaux sociaux (avec le hashtag en tête de pont) peuvent rendre le monde meilleur !
François Saltiel, Le vendeur de thé qui changea le monde avec un hashtag. Et autres histoires de # qui transforment nos vies, éditions Flammarion, 2 mai 2018, 192 pages, 14,95 euros.
© Photo : Claude Gassian
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