Après deux reports successifs, la Tunisie connaît ses premières élections municipales depuis la révolution de 2011. Une étape supplémentaire dans le processus de transition démocratique que connaît ce pays-laboratoire d’expérimentation démocratique dans le monde arabe.
Depuis la chute du régime inique de Ben Ali, la Tunisie est entrée dans un processus de transition démocratique destiné à donner naissance à un nouvel ordre politique et social fondé sur un acte constituant fondateur de la Seconde République tunisienne. Au terme de près de sept années de transition politique chaotique, ponctuées par l’adoption d’une nouvelle Constitution, les premières élections municipales depuis la révolution de 2011 ont enfin lieu, dans un climat mêlant liberté et désenchantement.
Avec le scrutin du 6 mai, la démocratie locale fera-t-elle partie de la nouvelle donne politique ? Ces élections annoncent-elles l’affirmation d’un nouveau pôle de pouvoir en Tunisie, digne d’une démocratie locale fondée sur une communalisation du territoire national ?
UNE NOUVELLE ÉTAPE DEPUIS 2011
Après le soulèvement de 2011, les anciens conseils municipaux élus sous Ben Ali ont été dissoutes en faveur de « délégations spéciales », nommées et composées de citoyens dirigées par un sous-préfet (le « délégué »). Avec l’élection de 350 conseils municipaux – sortes d’élus « de proximité » –, c’est la démocratisation du pouvoir local qui se joue. Dans le même temps, ces élections ne devraient ni susciter de quelconque ré-enchantement démocratique, ni remettre en cause le système bipolaire qui s’est cristallisé autour du parti islamo-conservateur Ennahda et du parti majoritaire aux dernières élections législatives, Nidaa Tounès (au sein duquel se sont recyclés nombre d’anciens membres du parti Benaliste (le RCD)).
La notion de (contre-)pouvoir local ne fait pas partie de la culture politique et juridique tunisienne.
Reste que ce scrutin local va pouvoir tester le poids de la donne tribale dans certaines régions de l’intérieur et du sud du pays, une réalité socio-historique que nombre de Tunisiens – qui ont grandi dans la culture politico-administrative de la concentration/centralisation du pouvoir – ont (re)découvert depuis la révolution de 2011.
Est-ce que les futures municipalités disposeront de la faculté/capacité de lancer des politiques autonomes, alternatives, voire de contester et de contrer l’action gouvernementale ? Autrement dit, le pouvoir central ou d’État sera-t-il confronté à une sorte de contre-pouvoir dont disposeraient les élus locaux ? La démocratisation de la Tunisie passe quoi qu’il en soit par un nouvel équilibre entre démocratie nationale et démocratie locale.
LA DÉMOCRATIE MISE À L’ÉPREUVE PAR L’ÉCHELON LOCAL
Si la Constitution consacre le principe de libre administration des collectivités territoriales, celui-ci se trouve limité par le caractère unitaire et indivisible de l’État qui détermine l’un des éléments constitutifs de la Seconde République. Dans le modèle de l’État unitaire, il n’existe qu’un seul centre de pouvoir politique, qu’un seul pouvoir normatif général (c’est-à-dire compétent pour établir les règles applicables sur l’ensemble du territoire national). C’est pourquoi la notion de (contre-)pouvoir local ne fait pas partie de la culture politique et juridique tunisienne. On se réfère désormais plus volontiers à la décentralisation et à la démocratie locale (ou de proximité), phénomènes qui bénéficient tous deux d’une dynamique historique plus favorable depuis la révolution.
Les communes peuvent ainsi devenir progressivement un élément du régime politique : la démocratisation peut en effet s’accompagner d’un changement des rapports entre les élus locaux et l’administration centrale, entre le pouvoir local et le pouvoir central. En cela, après ces élections municipales, la transition démocratique tunisienne sera mise à l’épreuve quant à sa capacité à conjuguer la démocratie avec l’échelon local.
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