Le 8 avril dernier se déroulaient les élections législatives en Hongrie qui ont vu triompher, pour la troisième fois de suite, Victor Orbán et son parti, le Fidesz. Comme en 2010 et en 2014, ils ont réussi à obtenir une majorité constitutionnelle avec, cette fois, 134 sièges sur les 199 que compte l’Assemblée nationale hongroise. Ces élections ont également vu un léger renforcement du parti d’extrême droite, Jobbik, et un écroulement du parti socialiste hongrois, MSZP.
Si le Fidesz n’est pas considéré comme un parti d’extrême droite en Europe, sa campagne centrée sur l’immigration et ses réformes constitutionnelles remettant en cause l’État de droit placent ce parti et le résultat de ces élections dans la continuité des dernières élections italiennes et autrichiennes.
Contrairement aux élections législatives précédentes, le Fidesz a très largement centré sa campagne sur la lutte contre l’immigration dans un pays où elle est très faible. Toutefois, de nombreux électeurs d’Orbán considèrent que le pays a déjà assez de problèmes avec les différentes minorités qui le composent. Certains électeurs du parti critiquent le ton et les idées de cette campagne mais en l’absence d’une opposition jugée crédible, ils ont maintenu leur vote en faveur du Fidesz.
UNE CAMPAGNE CENTRÉE SUR LE REJET DE L’AUTRE
La crise des réfugiés débutée en 2015 et la volonté de l’Union européenne d’imposer des quotas à ses membres ont été un détonateur pour Victor Orbán pour exploiter la peur de l’immigration, du multi-ethnisme et de l’islam. Tout comme certains théoriciens de l’extrême droite en France, il a également centré sa campagne sur le spectre du grand remplacement en estimant qu’il s’agit d’un complot mis en œuvre par la Commission européenne avec un soutien de Georges Soros, un financier d’origine hongroise qui soutient de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et de promotion de la démocratie dans le monde. Selon Orbán, cette stratégie a pour but de mettre fin à l’existence des nations et du christianisme en Europe.
Par ailleurs, Victor Orbán souhaite protéger la Hongrie contre les élites extérieures et préserver « l’identité » culturelle du pays. Son discours très véhément contre les élites, l’Union européenne et le capitalisme est aussi nourri de cela. La question de la souveraineté correspond à la volonté de ne rien se voir imposer par des puissances étrangères et des entités supranationales. Le traumatisme du Traité de Trianon fait partie de l’inconscient collectif hongrois.
Pour rétablir la souveraineté de son pays, Orbán adopte une politique économique nationaliste avec, par exemple, la création de groupes industriels qui défendent les intérêts de la Nation et la taxation massive des entreprises étrangères. La politique et le discours du Fidesz rappellent, à certains égards, le « Take back control » qui a motivé les promoteurs du Brexit au Royaume-Uni et le « Make America Great Again » de Donald Trump.
DES RÉFORMES CONSTITUTIONNELLES CONTESTABLES DEPUIS 2011
Outre les réformes économiques, le gouvernement a conduit des réformes d’ordre juridictionnel dont la plus forte a été la réforme de la Constitution de 2011 avec le retrait du terme « République » au profit de références religieuses. Dans ce cadre, Orbán y avait aussi fait inscrire le taux d’imposition sur le revenu, la composition de la Banque centrale, le nombre de communautés religieuses fixées par l’État, ainsi qu’un nouveau mode scrutin. Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle a rendu des arrêts dans lesquels elle s’estimait compétente pour juger de la compatibilité de ces réformes et amendements avec la Loi fondamentale. Cette situation a entraîné plusieurs modifications avant que le Parlement ôte cette compétence à la Cour constitutionnelle en l’autorisant à se prononcer sur la régularité de la procédure mais pas sur la substance des modifications.
La victoire d’Orbán aux dernières élections est un encouragement pour les partis d’extrême droite européens et une mise en garde pour Bruxelles.
Par ailleurs, les institutions judicaires ont été mises sous la coupe du pouvoir politique central selon un principe de centralisation. En ce qui concerne les médias, la liberté de la presse est fortement remise en cause. De nombreux journaux appartiennent à des proches d’Orbán et la pluralité de la presse n’est pas encouragée. Les entreprises retirent leur publicité dans des journaux d’opposition pour ne pas être pénalisés sur les marchés publics.
La majorité absolue permet au Fidesz de légiférer seul. Orbán et ses proches cherchent à verrouiller le système. Il est peu probable que, dans les années à venir, un autre gouvernement arrive à obtenir la majorité des deux tiers nécessaire pour modifier la Constitution. Ces réformes constitutionnelles font de la Hongrie un pays « illébéral », c’est-à-dire que tout en respectant la démocratie électorale, le régime porte atteinte aux libertés individuelles. Le Fidesz est présent partout dans l’État tout en conservant l’apparence institutionnelle du libéralisme politique.
TENTATIONS D’EXTRÊME DROITE ET MUTATION DU DISCOURS DU JOBBIK
Plusieurs personnalités d’extrême droite ont été décorées par Victor Orbán. De plus, le gouvernement est resté silencieux au moment de l’inauguration, par le Jobbik, d’une statue de l’amiral Horthy, allié d’Hitler et régent du royaume de Hongrie au pouvoir quand 400 000 juifs ont été déportés, et a soutenu de nombreuses commémorations en son honneur. Pendant longtemps, Orbán a eu une stratégie de pompier-pyromane avec le Jobbik. Cette stratégie rappelle à certains égards celle de Patrick Buisson en France. Aujourd’hui, le Jobbik pointe le double discours d’Orbán sur l’Union européenne (négatif sur la scène nationale et bien plus positif à Bruxelles) et dénonce l’absence de solution pour améliorer la vie des Hongrois.
Le Jobbik, principal parti d’extrême droite en Hongrie, est entré de manière fracassante sur la scène politique européenne en 2009 en emportant trois sièges au Parlement européen. Né en 2003, il est porteur d’un discours europhobe, antisémite et antilibéral tant sur le plan économique que politique. Il est l’un des premiers partis chez les jeunes
Le Jobbik n’est pas le parti des pauvres et des défavorisés mais plutôt d’une petite classe moyenne qui a encore à perdre dans la mondialisation. En 2011, il a présenté un programme économique, Plan Béla IV, composé de 30 propositions ayant pour ambition d’organiser le sauvetage du pays avec la mise en place de l’Union centre-européenne. Il veut prendre le contrepied du Plan Széll Kálmán, un plan d’austérité mis en place par le gouvernement Orbán et jugé inapproprié pour résoudre la crise actuelle par le leader du parti, Gábor Vona.Hongrois qui sont déçus par les partis traditionnels, rejettent de l’Union Européenne, sont friands de sécurité et prônent un retour de l’ordre avec un respect des traditions chrétiennes.
L’Europe des Nations est plus que jamais d’actualité. Cette ligne n’est plus, aujourd’hui, le propre de l’extrême droite et de la droite radicale.
Depuis 2013, le Jobbik tente d’atténuer son discours et entend se montrer comme la seule alternative crédible à Orbán. Il a souhaité rompre avec sa frange la plus radicale. Jusqu’en 2013, des membres du parti brûlaient des drapeaux européens et proposaient d’établir des listes des personnes de confession juive jugées « à risque ». Vona a retiré la rhétorique xénophobe et a fait campagne autour du slogan « mains propres » contre la corruption des cercles proches de du pouvoir. Le parti fait aussi de l’amélioration des services publics éducatifs et de santé une priorité. Toutefois, lors du scrutin d’avril 2018, il a échoué à s’imposer dans sa circonscription et souhaite passer la main dans un contexte où il n’a pas de successeur incontesté. Même s’il était prêt à intégrer des élus centristes, nombreux sont ceux qui restent peu convaincus par sa mutation idéologique.
VERS UNE EUROPE DES NATIONS ?
La victoire d’Orbán aux dernières élections est un encouragement pour les partis d’extrême droite européens et une mise en garde pour Bruxelles. Les Hongrois ne sont pas contre l’Union européenne. Ces résultats questionnent à la fois la nature de l’UE souhaitée par les citoyens mais également l’avenir de la démocratie.
L’Europe des Nations est plus que jamais d’actualité. Cette ligne n’est plus, aujourd’hui, le propre de l’extrême droite et de la droite radicale. On observe une évolution du discours sur la question de l’UE avec une remise en cause moins radicale de la construction européenne, mais qui s’accompagne d’un plébiscite pour cette Europe des Nations, au détriment de l’intégration européenne.
En outre, les réformes constitutionnelles hongroises questionnent sur les sanctions et les limites de la remise en cause la démocratie dans le cadre européen. Un des problèmes est le fait que les sanctions sont inadaptées ; si sanctions européennes il doit y avoir, elles doivent être fines et agiles, via par exemple un contrôle plus strict de l’utilisation des subventions. La suppression de toutes les aides reviendrait à punir tous les Hongrois et serait une mesure plus contreproductive qu’autre chose. Il s’agit donc là d’un autre défi pour l’Union européenne : comment traiter les pays ne respectant plus les valeurs qui ont permis qu’ils adhèrent au cadre européen ?
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