La science est catégorique : l’espèce humaine est une et indivisible, il n’y a pas de « races humaines ». Cette vérité scientifique vient conforter une philosophie universaliste qui rejette les théories racialistes, des conceptions de l’humanité fondées sur la notion de « race » qui ont servi de support aux discours et idéologies à l’origine d’actes criminels.
À partir des Lumières du XVIIIe, la France a progressivement fait sienne cette philosophie universaliste. Sur les frontispices de tous les bâtiments républicains comme dans le premier article de la constitution de 1958, les principes d’universalité et d’égalité sont affirmés haut et fort. Pourtant, cette proclamation est largement contredite par son application particulariste et discriminante, dans ce qu’on pourrait bien appeler, reprenant les termes de Gunnar Myrdal, le « dilemme français »[1]. Aujourd’hui, non seulement la chose « raciste » demeure prégnante, mais le mot fait un retour en force tant dans le langage quotidien que dans le débats intellectuels, académiques et politiques. Un retour dont la signification est ambivalente.
D’un côté, un large consensus tend à proscrire le mot, y compris du système juridique, car il est associé au racisme. Ainsi, les députés français ont voté à l’unanimité, le 12 juillet 2018, un amendement qui supprime le mot « race » dans le premier article de la Constitution, alors que l’Assemblée nationale avait déjà voté une proposition de loi supprimant cette référence de la législation française.
De l’autre, la notion de « race » fait l’objet d’un regain d’intérêt : elle est revisitée par les sciences sociales critiques et postcoloniales, avec un sens radicalement différent du racisme scientifique. Il s’agirait ici de promouvoir le concept de race comme un marqueur de nos représentations et structures sociopolitiques construites par des processus historiques. Autrement dit, les catégories raciales ont été construites comme des justifications des inégalités sociales, économiques et politiques et continuent à hanter nos représentations. Taire le mot serait dès lors taire les inégalités persistantes et refuser de les confronter. Dans cette perspective constructiviste et conséquentialiste, il ne s’agirait donc pas de promouvoir l’idée d’existence biologique des « races », mais de définir des phénomènes de discrimination et de stigmatisation à travers des notions qui ont fait irruption comme « racisé » ou « racisme d’État ». Un champ lexical qui anime une nouvelle mouvance de l’antiracisme souvent perçue comme une menace pour l’universalisme républicain.
Pour en parler, nous recevrons :
- Magali Bessone, philosophe, auteure de Sans distinction de race (Vrin, 2013) et Faire justice de l’irréparable. Esclavage colonial et responsabilités contemporaines (Vrin, 2019) ;
- Nacira Guénif-Souilamas, anthropologue et sociologue, auteure de La République mise à nu par son immigration (La Fabrique, 2006).« Place aux idées » #5, Le retour de la race ?
Le 22 janvier 2020 à 18h30, à la Libraire Vrin, 6, place de la Sorbonne, 75005 Paris.
Inscription : https://forms.gle/p5FTjBkTUWEUrHdA6
- La Librairie philosophique J. Vrin est une maison indépendante d’édition de philosophie et l’unique librairie spécialisée en philosophie au monde. Depuis 1911, son catalogue riche de plus de 10 000 titres et les rencontres organisées entre ses murs font vivre la réflexion philosophique au cœur de la capitale.
- Chronik.fr est un collectif animé par une génération d’intellectuels acteurs de la société civile, qui croisent depuis plusieurs années déjà leurs regards sur les enjeux majeurs de notre modernité. La démarche de Chronik.fr consiste à prendre part à un projet politique toujours en construction, d’inspiration humaniste et universaliste, affranchi de la représentation d’une société française vivant en vase clos.
Par Béligh Nabli & Margot Holvoet
[1] Magali Bessone, Sans distinction de race ?, Paris, Vrin, 2013, p. 7.