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2018, année clé pour l’Italie

Pays à l’histoire trimillénaire, à la culture riche et influente dans le monde entier, membre fondateur de l’Union européenne, l’Italie est, aujourd’hui, à la croisée des chemins. Un véritable « alignement des planètes » se présente, avec pour elle des cartes importantes à jouer, dans le but de redevenir une actrice de premier plan sur la scène européenne.

À l’heure d’affronter de nouveaux défis, soit l’Italie en sortira renforcée, soit elle sombrera dans une instabilité politico-économique pire que ce qu’elle subit depuis trop d’années déjà. Tentons d’analyser les enjeux politiques et géopolitiques en cours. Sur la scène politique intérieure tout d’abord, soulignons en premier lieu l’instabilité politique qui caractérise le système de gouvernement. Depuis le départ de Silvio Berlusconi du pouvoir en novembre 2011, pas moins de quatre présidents du Conseil se sont succédé : Mario Monti, Enrico Letta, Matteo Renzi et enfin Paolo Gentiloni, depuis décembre 2016, qui restera en poste jusqu’aux prochaines législatives, le 4 mars 2018. Ces dernières, appelées également élections générales, seront les premières à se tenir suite à l’adoption de la nouvelle loi électorale d’octobre 2017 (appelée Rosatellum bis).

Elles s’annoncent particulièrement incertaines avec, pour simplifier, trois blocs : un centre-gauche mené, pour le Parti démocrate (PD), par Matteo Renzi mais fragilisé par de nombreuses divisions internes ; un centre-droit puissant dirigé par Silvio Berlusconi, souvent présenté comme fini mais toujours influent, qui englobe au passage des mouvements d’extrême droite dont la Ligue du Nord de Matteo Salvini ; et enfin le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Beppe Grillo, avec comme candidat Luigi di Maio, mouvement profondément contestataire, antisystème, qui accumule les succès électoraux depuis plusieurs années, parvenant à conquérir des mairies importantes dont celle de Rome.

LA SURENCHÈRE DÉMAGOGIQUE DES PARTIS

À ces blocs principaux qui sont à peu près au même niveau actuellement dans les sondages d’opinion, il convient d’ajouter un dernier acteur, sans doute le plus important et le plus dangereux : l’abstention. Estimée aujourd’hui à environ 30 %, elle peut redistribuer les cartes du jeu politique et favoriser le bloc qui saura répondre aux indécis et aux déçus de la politique.

Force est de constater que ces derniers sont très nombreux et que leurs motifs de mécontentement sont légitimes : une classe politique à l’image détestable, jugée incompétente et soucieuse davantage de ses intérêts que de l’amélioration des conditions de vie des Italiens ; des réformes peu efficaces à l’image du Jobs Act de Matteo Renzi, qui n’a pas mis fin à la précarité de l’emploi ; un taux de chômage à 11 % et qui explose à 32,7 % chez les jeunes, malgré quelques secteurs de l’économie qui se portent bien (le secteur industriel surtout).

Cette situation pousse les partis à promettre tout et n’importe quoi, le candidat du centre-gauche Matteo Renzi allant jusqu’à déclarer : « on dirait la campagne électorale de la Laponie, le pays du Père Noël. » Le propos n’est guère exagéré : c’est à celui qui supprimera le plus de taxes (suppression de la taxe foncière, de la vignette automobile, etc. pour Silvio Berlusconi), qui supprimera le plus de lois « inutiles » (400 pour le M5S), et qui surtout offrira le plus à chaque catégorie d’électeurs : pas de frais universitaires pour le parti de gauche Liberi e Uguali, hausse des retraites les plus basses à 1 000 euros pour le centre-droit, embauche de 10 000 fonctionnaires de police pour le M5S qui propose également le remboursement des frais de crèche… L’inventaire est conséquent et interroge clairement le sérieux des programmes des candidats. Il inquiète également l’Union européenne qui compte sur l’Italie tout en s’interrogeant sur ses faiblesses structurelles (secteur bancaire, administration…).

Dans ce micmac politique, le M5S semble tirer son épingle du jeu (malgré une gestion pour le moins calamiteuse des villes qu’il dirige), faisant preuve de souplesse sur ses principes et sa stratégie dans le but de gagner : la ligne intransigeante qui refusait tout accord avec d’autres petits partis ne semble plus à l’ordre du jour, de même que le projet d’un référendum de sortie de l’euro, mis aux oubliettes par le leader, Luigi di Maio. Ce dernier a clairement compris que le sujet était clivant et il n’a pas voulu tomber dans le piège du Front national en France avec Marine Le Pen, dont les errements sur la monnaie européenne ont participé à sa défaite.

Présenté comme un gouvernement Renzi-bis, sans véritable autre but que celui de « gérer les affaires courantes », le gouvernement de Gentiloni a démontré au contraire que l’Italie se devait d’agir dans un contexte européen potentiellement favorable à ses intérêts.

Il est aujourd’hui impossible d’avoir une estimation claire et réaliste des élections du 4 mars : près d’une centaine de partis ont procédé aux démarches administratives pour participer aux élections et la nouvelle loi électorale, mixant scrutin majoritaire et scrutin proportionnel, va rendre nécessaire la mise en place de coalitions, d’où des tractations ardues entre petits et grands partis, les premiers moyennant cher leur ralliement. La campagne qui vient de débuter est extrêmement courte et il n’est pas absurde de penser que des retournements de situation vont avoir lieu dans les prochaines semaines avec une reconfiguration des rapports de force pour la journée du 4 mars.

Le résultat sera scruté par les Italiens mais également par les Européens, dont les dirigeants attendent de savoir avec qui ils vont pouvoir travailler facilement, ou non, pendant les cinq prochaines années : une victoire du M5S constituerait un séisme politique à l’échelle européenne, avec des inconnues politiques et économiques potentiellement très déstabilisantes pour l’Italie et ses partenaires. Une victoire du centre-droit ou du centre-gauche rassurerait les partenaires de l’Italie mais ne résoudrait pas pour autant la défiance des Italiens vis-à-vis de leur classe politique. En fin de compte, c’est l’abstention qui conditionnera la légitimité du vainqueur et qui lui permettra d’être audible sur la scène nationale et auprès des voisins européens.

Pour ce qui est de la politique étrangère, l’Italie fait preuve d’un activisme certain, à défaut d’avoir des résultats immédiats. Son premier pari porte sur son souhait de renforcer ses relations avec la France, car elle est consciente du poids croissant de cette dernière en Europe avec un nouveau président de la République, Emmanuel Macron, particulièrement actif, afin de créer un contrepoids face au classique tandem franco-allemand à l’influence déclinante, alors que la Chancelière Angela Merkel peine à constituer de nouveau une coalition.

C’est une stratégie audacieuse et qui fait sens, mais qui ne doit pas pour autant faire oublier que si la France et l’Italie sont des partenaires de premier plan, elles sont également des concurrentes sur les dossiers économiques (en particulier ces derniers mois dans les secteurs des communications et des chantiers navals…).

DES AMBITIONS EUROPÉENNES FORTES

Les deux dirigeants, Emmanuel Macron et Paolo Gentiloni, ont en tout cas la même vision : aller plus loin dans la coopération entre les deux pays avec l’élaboration d’un traité bilatéral, appelé Traité du « Quirinal » (siège de la présidence italienne), qui serait le pendant du Traité de l’Elysée entre la France et l’Allemagne. Ce projet qui avance plutôt vite pourrait à terme redonner du poids à l’Europe du Sud sur la scène continentale, souvent présentée comme le maillon faible de l’Union européenne sur le plan économique.

C’est dans cet esprit que doit être analysé le Sommet des pays du Sud de l’Union européenne qui s’est tenu à Rome le 10 janvier 2018, où la France et l’Italie ont véritablement montré leur volonté d’aller de l’avant, de ne plus subir mais d’agir afin de proposer une autre Europe.

Ce pari a de fortes chances de réussir, même si deux inconnues demeurent : est-ce que le prochain dirigeant italien sera aussi impliqué que son prédécesseur sur ces dossiers ? Et, par conséquent, les deux pays sauront-ils mener des politiques économiques cohérentes et complémentaires afin d’éviter toute distorsion, source mécanique de refroidissement des relations ?

Le second pari porte sur la sphère d’influence géopolitique de l’Italie en Afrique du Nord. Il y a deux objectifs majeurs : limiter l’arrivée des migrants sur le sol italien, développer les coopérations politiques et militaires (en particulier avec la Libye) pour œuvrer à la pacification de la région. Pour la question migratoire, l’Italie a fait l’objet de nombreuses critiques, aussi bien au sein de la population qu’au niveau européen dans sa gestion des flux migratoires, même si force est de constater que ces derniers diminuent.

Cela ne règle en rien le drame humanitaire que connaissent les migrants, mais cela permet au gouvernement de faire croire que le problème tend à se résoudre, afin d’apaiser une opinion publique qui entend régulièrement des discours pour le moins critiquables des différents partis politiques. Ce « résultat » s’explique entre autres par la coopération accrue entre l’Italie et la Libye. Après avoir misé initialement sur Faïez Sarraj, le dirigeant du gouvernement « officiel » de Tripoli, l’Italie a changé de stratégie en recevant fin septembre 2017 le maréchal Haftar qui contrôle la Cyrénaïque (l’Est de la Libye).

Ce revirement s’explique entre autres par l’action diplomatique d’Emmanuel Macron en juillet 2017 qui a reçu les deux dirigeants libyens, ce qui n’avait pas été apprécié par Rome, qui ne souhaite pas perdre son influence sur ce pays-clé. En traitant avec les deux interlocuteurs majeurs de la Libye, l’Italie s’assure une place de médiatrice et peut espérer que la Libye continue de bloquer les migrants sur son sol – ce qui a été dénoncé par de nombreuses ONG, conscientes que cela ne réglait en rien le problème de fond.

Enfin, le président du Conseil, Paolo Gentiloni, a annoncé fin décembre le déploiement de 470 militaires au Niger pour « renforcer le contrôle du territoire » dans ce pays, où transitent de nombreux migrants. Cette projection de forces militaires peut sembler anecdotique et faible, mais en vérité, elle montre la volonté de l’Italie de « redevenir » un acteur géopolitique clé dans la région, en menant des actions similaires à ce que fait la France au Mali, dans des proportions moindres il est vrai.


C’est un risque politique fort qu’a pris Gentiloni, car cette force militaire sera particulièrement exposée aux groupes terroristes locaux (dont Boko Haram), avec le risque de pertes, ce qui susciterait mécaniquement des interrogations dans l’opinion publique italienne quant au bien-fondé d’une telle opération.

Toujours est-il qu’en agissant ainsi, l’Italie montre à la France qu’elle n’est pas seule dans la région, et il est fort probable que cet acte sera fortement apprécié à Paris.

Présenté comme un gouvernement Renzi-bis, sans véritable autre but que celui de « gérer les affaires courantes », le gouvernement de Gentiloni a démontré au contraire que l’Italie n’entendait pas rester immobile et qu’elle se devait d’agir dans un contexte européen potentiellement favorable à ses intérêts.

La défense de ces derniers sera cependant conditionnée aux élections de mars : quel que soit le résultat, les déçus se feront entendre (le M5S dénoncera la connivence des partis classiques en cas de défaite, les centres droit et gauche crieront à la faillite du pays en cas d’arrivée au pouvoir du M5S), mais le plus important sera pour le vainqueur de construire un projet de société pour et avec les Italiens.

Le pays a des atouts considérables qu’il convient d’utiliser à bon escient (un positionnement géostratégique majeur, un savoir-faire industriel manifeste, une culture profondément riche, etc.), sous peine de voir se poursuivre le départ à l’étranger de jeunes diplômés et prometteurs. L’année 2018 sera clairement une année charnière pour l’Italie. Il incombe à ses dirigeants de créer un nouvel élan, à la fois politique, économique et sociétal.

© Photos : Wikipedia et Flickr

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