– Par Fatma Bouvet de la Maisonneuve,
psychiatre et membre de «Chronik», auteure de Le choix des femmes – Editions Odile Jacob
Cette année, le féminisme a perdu une de ses plus grandes figures : Gisèle Halimi. Suite à cette disparition, les réactions ont été unanimes pour rappeler le rôle qu’elle a joué dans le mouvement d’émancipation des femmes. C’était une femme de pensée et elle nous a fournis des arguments implacables basés sur son expérience professionnelle et sur les réflexions qui en découlent, mais c’était aussi une femme d’action et elle a participé à des manifestations qui furent, à l’époque, vivement contestées. Ainsi, en 1971, elle fût l’une des signataires du célèbre manifeste des 343 salopes, des femmes qui reconnaissaient publiquement avoir avorté. Elle avait compris que la bataille devait se faire sur plusieurs terrains quitte à choquer.
Lors de nos soirées estivales, si l’on ne parlait pas Covid, on débâtait autour du féminisme et de son évolution. L’occasion nous avait été fournie par la révélation des propos sexistes de l’ex-Secrétaire Général du Gouvernement, Marc Guillaume, qui s’étonnait qu’une femme puisse penser et qui attribuait sa promotion à la profondeur de son décolleté. Lorsque le garde des sceaux fait ses premiers pas, il a prolongé le débat en s’attaquant aux « folasses » qui animent meetoo et en atténuant la gravité de l’affaire DSK qu’il voit comme une bande de copains qui passent du bon temps. Le clou a été son absence lors des funérailles de sa consœur Maître Halimi. Pourtant, la situation est grave au regard des défaillances du système judiciaire. Cela va de la perception du viol dans l’imaginaire collectif qui constitue un frein pour porter plainte (10% seulement des situations) jusqu’à l’accueil des plaignantes très inégal (dans les commissariats et gendarmeries) et du nombre impressionnant de dossiers classés sans suite en cour d’assises (90% des cas).
Lorsque les faits sont têtus et la désinvolture des politiques dangereuse
Je pense, aujourd’hui, qu’il ne faut plus tourner autour du pot et qu’il faut aller droit aux sujets qui fâchent pour lever les malentendus avant de parvenir à un consensus. Il nous faut travailler tous dans le sens de l’égalité des sexes qui est un droit humain. Car moins une société est paritaire plus elle est claudicante.
Pour ma démonstration, je prendrai le parti de vous parler de la santé, domaine dans lequel j’exerce, et qui parle à tout le monde.
Basons-nous d’abord sur des faits, rien que les faits. Certes, l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes (74,2 ans versus 69,8 ans), mais les femmes connaissent une morbidité plus importante et ont davantage recours aux soins que les hommes. La différence s’explique, en particulier, par leurs besoins en santé reproductive. Les maladies non transmissibles constituent toujours la plus grande cause de décès chez les femmes dans le monde, avec 18,9 millions de décès. Fait moins connu, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès chez les femmes et elles sont souvent négligées du fait d’une symptomatologie moins connue. Parmi les cancers, ceux du col de l’utérus et du sein sont les plus fréquents, mais c’est le cancer du poumon qui, comme chez les hommes, est le plus meurtrier. La dépression est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes (5,1 % contre 3,6 ) et les conduites auto-agressives, comme le suicide, représentent la deuxième cause de décès, au niveau mondial[1].
La santé est aussi un problème sociétal et politique. Une femme sur trois dans le monde est susceptible de connaître des violences physiques et/ou sexuelles. Les femmes et les filles qui vivent dans des zones de conflit ou qui sont contraintes de se déplacer souffrent davantage en raison des perturbations dans le fonctionnement des systèmes de santé, d’obstacles accrus pour accéder aux soins de santé et de l’utilisation du viol et d’autres formes de violence comme armes de guerre. Dans les pays en paix, l’inégalité peut être insidieuse. Ainsi, la recherche médicale implique beaucoup moins les femmes dont la physiologie est différente de celle des hommes. Le résultat est que les traitements proposés ne tiennent pas compte des spécificités biologiques et peuvent ne pas être adaptés aux femmes. Dans un autre domaine, la vie professionnelle, les experts pensent qu’il existe une sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles chez les femmes dont les atteintes à la santé sont moins visibles du fait des tabous sociaux[2]. Les femmes elles-mêmes contribuent à cette sous-estimation : souvent, elles ne veulent pas « se plaindre » pour protéger leur emploi. Les femmes et particulièrement les ouvrières sont devant un dilemme : si elle veulent accéder à l’ensemble des emplois, elles doivent accepter des risques pour leur intégrité physique comme pour leur santé mentale.
Les conséquences physiques de la violence sont bien connues car elles sont visibles. Seulement, nous, les psychiatres, nous voyons les conséquences de harcèlements souvent imperceptibles : stress post traumatiques, dépressions, troubles anxieux, abus de produits (par auto-médication ou en équivalent suicidaire) voire des automutilations répétées. Les femmes consomment plus de médicaments psychotropes que les hommes, que ce soit dans le but de s’anesthésier, de récupérer ou alors de lâcher prise dans une stratégie de reconnaissance face à un milieu professionnel dont les codes leur sont encore étrangers[3]. Elles vivent des humiliations répétées, par exemple lorsqu’elles sont appelées par leur prénom alors que leurs collègues le sont par leur nom et prénom, ou quand elles entendent les réserves exprimées face à leur capacité à assumer des missions importantes. Ces attaques à l’encontre de leur féminité sont autant d’éléments qui peuvent réduire à néant des femmes qui déploient une force extraordinaire pour trouver la place qu’elles méritent.(4)
Une politique efficace et claire, sinon c’est la rue
Vous avez dû entendre cette litanie des chiffres cités plus haut des dizaines de fois. L’égalité de traitement entre les sexes, dans une société normale ne devrait même pas faire débat. Or, il se trouve que, face à cette question, les états restent nonchalants. Parlons de la France, le président Macron avait fait des droits des femmes une cause nationale, et pourtant le nombre de féminicides augmente. (5 )Dans ma pratique je peux affirmer suivre des patientes victimes de viols dont les dossiers trainent depuis plus de 7 ans. Alors que faire lorsque les voies administratives et légales ont à ce point failli ? Eh bien « on descend dans la rue. » Ce sont les colleuses, les pétitions ou #metoo ou #noustoutes etc.
Sans un ton et une politique clairs et transparents, il persistera toujours cette opposition entre les féministes prétendument vrais et ceux qui seraient prétendument faux. Prenons un exemple : certains mouvements sont jugés comme « extrémistes » et desservant la cause des femmes. Il est vrai que les coups de gueules relèvent toujours d’une certaine énergie vécue parfois comme belliqueuse. Je note au passage l’inadaptation ici du terme d’extrémiste, car il n’y a rien d’extrême à demander l’égalité. Je crois qu’il est temps que l’on trouve tous ensemble les termes convaincants. En effet, en tant que thérapeute qui reçoit aussi de jeunes hommes, j’entends le malaise de beaucoup, voire le changement de positionnement de ceux qui ont grandi dans des valeurs d’égalité, perturbés par certains slogans qui les agressent gratuitement. Des jeunes femmes me disent aussi « je suis féministe, mais… », ou « je ne suis pas féministe, mais… » comme s’il fallait se justifier de défendre plus de 50% de l’humanité. Le problème est que ni les légalistes ni les « libertaires » n’ont tort, tous ont raison. Les réactions à chaud sont justifiées, mais elles doivent converger rapidement. Nous ne sommes pas en guerre, autrement il y aurait des ruines des deux côtés, et nous, féministes, risquerions de perdre de précieux compagnons de lutte. Lorsqu’il se créée une telle divergence dans la société et que la régression menace, alors les gouvernants doivent intervenir avec force pour arrêter des polémiques qui font perdre du temps à tous et en particulier aux femmes : il s’agit ici de vie ou de mort. Le problème est politique au sens fort du terme, et tous les moyens doivent donc être utilisés pour faire prendre conscience de ces inégalités mondiales d’un autre âge. Alors, il faut travailler sur tous les terrains pour corriger ces injustices. Comme l’écrivait Gisèle Halimi, il ne faut jamais se résigner(6).
1. OMS 2018
2. CRESPIN R., LHUILIER D., LUTZ G., 2015/3. « Les fonctions ambivalentes de l’alcool en milieu de travail : bon objet et mauvais objet ». Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale (N°107), p. 389
3. Le choix des Femmes , Fatma Bouvet de la Maisonneuve 2011, Editions Odile Jacob
4. Les femmes face à l’alcool, résister et s’en sortir, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, 2010, Editions Odile Jacob
5. Enquête de la délégation aux victimes, aout 2020
6. Ne vous résignez jamais, Gisèle Halimi, 2009, Plon
[1] chez les femmes âgées de 15 à 29 ans Ref ? OMS 2018 ?
[2] Ref ?
[3] CRESPIN R., LHUILIER D., LUTZ G., 2015/3. « Les fonctions ambivalentes de l’alcool en milieu de travail : bon objet et mauvais objet ». Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale (N°107), p. 389
– Photo par Fatma Bouvet de la Maisonneuve
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