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L’affaire Le Pen et la moralisation de la vie politique européenne

Le Journal du Dimanche a révélé l’existence d’un rapport de policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), qui met en lumière un système de détournement de fonds publics européens par le biais d’emplois fictifs d’assistants parlementaires,  en faveur de Marine Le Pen et du Rassemblement national. Au-delà de son versant purement judiciaire, cette affaire s’inscrit dans un contexte marqué par la montée des thématiques de la « transparence » et de la « vertu » en politique.

 

Les membres des institutions de l’Union n’échappent pas à la demande de « moralisation » de la vie politique, par laquelle le sens de l’intérêt général ne se présume plus, mais se (dé)montre à travers une manière d’être et de faire. Ainsi, depuis la fin des années 1990, les institutions de l’Union ont commencé à mettre en place des modes ou systèmes de réglementation légalement contraignants de gestion et de contrôle/surveillance permettant de répondre à certaines exigences en matière d’exemplarité.

Ainsi, lors du processus de nomination de la Commission actuellement en exercice, la candidature « proposée » par la France a été « rejetée ». La personnalité de  Sylvie Goulard ne présentait pas, selon les députés européens, toutes les garanties d’intégrité personnelle et d’indépendance nécessaires à l’exercice de la fonction de commissaire. En l’espèce, l’impétrante était citée dans deux enquêtes : une enquête préliminaire (ouverte par la justice française) pour « abus de confiance » autour de potentiels emplois fictifs de collaborateurs au Parlement européen de son parti le MoDem (procédure judiciaire qui lui avait déjà coûté la démission de son poste de ministre de la Défense et dans laquelle elle sera finalement mise en examen) ; l’autre enquête est ouverte, sur la même affaire, par l’Office antifraude (OLAF) de l’Union européenne. En outre, Sylvie Goulard était visée par un soupçon de conflit d’intérêts résultant d’une mission de « consultante » pour l’institut américain Berggruen assurée durant son mandat de députée européenne.

Ce précédent illustre la manière dont le processus de démocratisation de l’Union européenne s’accompagne d’un mouvement d’encadrement juridique et politique renforcé des membres des institutions de l’Union. Un parallélisme qui s’explique par le lien établi entre l’exigence d’exemplarité des responsables politiques et la confiance des citoyens. Le principe de « démocratie représentative » sur lequel repose en partie le fonctionnement de l’Union (art. 10 § 1 TUE) procède de la confiance citoyenne dont les responsables politiques sont investis et doivent s’acquitter. Lorsque la confiance est accordée à un gouvernant dont le pouvoir et la légitimité reposent sur le consentement des gouvernés, il y a un devoir de montrer qu’il en est digne[1]. Ce lien de confiance est de nature politique et éthique, et sa rupture sape la légitimité du système représentatif : faire confiance, c’est donner son consentement[2]. Il y a en outre une dimension cognitive de la confiance qui rejoint la logique de la transparence et de l’exemplarité : ce qu’on sait de la personne permet de préjuger de son comportement futur ; si l’on découvre que ce que l’on sait est incomplet ou erroné, cela rompt la confiance et nourrit une « société de la défiance »[3].

La question de l’exemplarité des membres des institutions de l’Union se pose dans un contexte marqué par une « crise de confiance » qui frappe une organisation d’intégration confrontée à une vague inégale et ambivalente de désaffection des peuples à l’égard de son projet. Le procès lancinant en « déficit démocratique » de l’Union demeure prégnant. La défiance citoyenne à l’égard de l’organisation d’intégration se nourrit en partie de la complexité d’une gouvernance – composite, multiniveaux et en « réseau » – caractérisée par l’intervention-interaction d’une pluralité d’acteurs (y compris de nature extra-institutionnelle, comme les « experts » et les « représentants d’intérêts ») et l’intensité des activités de « lobbying » auprès des responsables politiques et fonctionnaires des institutions de l’Union.

Cette défiance à l’égard de l’opacité et de l’inintelligibilité supposées du mode de fonctionnement de l’Union se nourrit aussi de la succession et de la médiatisation d’« affaires » (de conflits d’intérêts) impliquant des membres (ou d’anciens membres) des institutions de l’Union, lesquelles « affaires » contribuent à saper la confiance dans le sens (de l’intérêt général) du projet d’intégration.

Quant à Marine Le Pen, même en cas de disqualification judiciaire, les idées de l’extrême-droite continueraient d’être au cœur d’une vie publique profondément dégradée. C’est sur le plan de la bataille idéologique qu’elle doit aussi être défaite…

 

[1] A. C. BAIER, « Confiance », in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Tome I, Paris, PUF, pp. 283-288, spéc. p. 284.

[2] Ibid., p. 285.

[3] P. ROSANVALLON, La contre-démocratie, La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006.

 

  • Illustration : Jackson Pollock – Untitledc. 1950
Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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