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E. Macron : l’art de la commémoration et de la récupération

  • Clément Bollardière*, haut fonctionnaire

 

De Gaulle, Mitterrand, Pompidou, Giscard d’Estaing… La liste est longue d’anciens présidents de la République, honorés par l’actuel locataire de l’Elysée. Répondant à une figure imposée par le protocole, cette posture classique d’hommage prend une tournure quelque peu excessive de la part d’Emmanuel Macron, un homme sans réel passé politique en quête perpétuelle d’une histoire. L’exercice peut sembler surprenant venant d’un personnage, élu en mai 2017 sur la promesse d’en finir avec l’ancien monde. Mais la posture ne doit pas faire illusion car elle s’inscrit clairement dans une démarche de récupération relevant largement d’une l’imposture : celle d’un président se posant en héritier de ses prédécesseurs.

Emmanuel Macron n’’est bien sûr pas le premier à s’inscrire dans cette stratégie. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont eux aussi largement usé de ces exercices de commémoration et d’hommage. Il les dépasse toutefois dans l’art de la récupération … au risque de la saturation.

 

Un Président en quête de références historiques

 

Depuis 2017, Emmanuel Macron n’a cessé de convoquer le souvenir des grands anciens, dès le soir de sa victoire, il a joué à plein sur la symbolique, cheminant tel un sphinx à la pyramide de Pei au Louvre. L’allusion au François Mitterrand des grands travaux sautait aux yeux de tous les observateurs.

La suite du quinquennat a été peuplée, voire saturée de mémoire. Le président a profité tant des commémorations officielles, notamment son « itinérance mémorielle » à la faveur du centenaire de la 1ère guerre mondiale en 2018, séquence diversement réussie d’ailleurs, que des décès de grands anciens (Jacques Chirac en 2019 et Valérie Giscard d’Estaing plus récemment) pour mettre en scène son rapport à l’histoire.

Derrière l’hommage (sans doute sincère), perce toujours le procès en récupération et instrumentalisation de figures illustres et passées de la République. Sur ce point, Emmanuel Macron ne fait que s’inscrire dans la continuité de Nicolas Sarkozy et François Hollande, eux aussi très friands de cet exercice. Ces trois présidents, fort différents, ont un point commun dans notre vieux pays, peuplé de références guerrières et martiales : ils sont nés après la 2nde guerre mondiale et n’ont pas connu l’épreuve du feu, ni de grandes crises de régime républicain, comme en 1940 ou 1958. S’apparenter à un événement historique (le plateau des Glières pour Nicolas Sarkozy notamment), c’est aussi ancrer une filiation dans l’histoire de France.

Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle. Sans grand passé politique, il veut lui aussi s’inscrire dans un héritage historique. Cette volonté souffre cependant du caractère excessif et multiforme de références : la multiplicité des emprunts rendant illisible la geste mémorielle et commémorative, elle tend aussi à interroger tant sur la sincérité de l’entreprise que sur l’adéquation au temps présent.


Une imposture pour mieux pallier l’absence de résultats et de perspectives

 

Le Président (on l’a constaté au début de la crise du Covid 19) aime s’imprégner de métaphores guerrières. Rien d’étonnant donc à vouloir s’inspirer du père fondateur de la Vème république, le général de Gaulle. Aucun des successeurs du général (y compris son plus illustre opposant, François Mitterrand) n’a dérogé à cette règle. Cependant, en 2021, il convient quand même de s’interroger sur la pertinence à s’abriter derrière cette figure.

Invoquer comme modèle un homme né au 19ème siècle, ayant connu et vécu activement deux guerres mondiales, est-il encore opportun aujourd’hui et quelle est sa portée réelle dans l’opinion ? Il conviendrait sans doute de rendre la figure du Général à l’histoire où il prend toute sa place. Invoquer une hypothétique filiation avec l’homme du 18 juin pour nos politiques actuels, relève au mieux de l’imposture, au pire du pathétique.

D’autant qu’au jeu de la comparaison (au risque de succomber au piège de l’anachronisme), le verdict est cruel pour le pouvoir actuel. Et c’est là que résident les limites des emprunts aux grands aînés. L’exercice du pouvoir actuel ne peut nullement rivaliser avec ses prédécesseurs, tant il manque tant de souffle et de cohérence.

Sur ce point, la comparaison avec VGE est intéressante d’autant que nombre d’observateurs politiques ont trop vite fait d’assimiler VGE et Emanuel Macron dans une continuité idéologique et politique. Dans son hommage, l’actuel président a rappelé l’héritage de VGE avec la volonté de s’inscrire dans le sillage de l’ancien président Cette intervention, sobre dans la forme, sonnait clairement comme un passage de flambeau de l’illustre aîné à Emmanuel Macron. Cependant, le jeu des comparaisons s’avère sans appel. Aux multiples et remarquables avancées sociétales du septennat giscardien (légalisation de l’IVG, vote à 18 ans, suppression de l’ORTF), le bilan sociétal du plus jeune président de la Vème république paraît bien mince (on attend toujours la mise en œuvre de la PMA, promise pendant la campagne présidentielle), sans parler de l’Europe de VGE dont Macron se veut le continuateur. L’opinion se souviendra de VGE comme d’un des pères du SME (l’ancêtre de l’Euro) et du couple franco-allemand qu’il incarnait avec Helmut Schmidt. Pour l’instant, Macron a eu du mal à faire avancer les sujets européens, handicapé il est vrai par une cohérence rendue hypothétique à 27 et le relatif déclin du traditionnel duo franco-allemand.

2021 est censée ouvrir l’année des commémorations autour de la figure de François Mitterrand. Elle a débuté par une fort discrète visite sur la tombe de l’ancien président à Jarnac le 8 janvier pour le 25ème anniversaire de sa disparition. Elle doit se poursuivre par la commémoration de deux temps forts dans la carrière de l’ancien président : les 40 ans de son élection en mai et de l’abolition de la peine de mort en octobre. Au vu des réformes passées (ordonnance travail en 2017, réforme au forceps de la SNCF en 2018) et à venir (droitisation assumée sur le plan sécuritaire, réforme des retraites), difficile de pointer une quelconque continuité entre les deux mandats. Que le Président voulant rallonger l’âge de départ à la retraite des Français veuille s’inscrire dans le sillage de celui qui institua, en des temps révolus, la retraite à 60 ans suffit amplement pour démonter l’imposture de la récupération.

Plutôt que de se raccrocher à des figures (certes illustres) mais d’un temps révolu, Emmanuel Macron ferait mieux de se construire une vraie histoire…Mais au vu de son maigre bilan, le macronisme politique peut-il augurer d’un avenir ?

 

* : Il s’agit d’un pseudonyme

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