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Guillaume Duval : « l’aristocratie d’Etat macroniste est antidémocratique et antisociale »

  • Ancien rédacteur en chef d’Alternatives économiques, Guillaume Duval nous a fait le plaisir de répondre à nos questions à l’occasion de la parution de son dernier essai »L’Impasse, comment Macron nous mène dans le mur » (éditions Les Liens qui Libèrent). Un regard critique sur un quinquennat qui aura su incarner le « néolibéralisme à la française ».

BN – Le (premier ?) mandat d’E. Macron prend fin et l’hésitation domine encore dès lors qu’il s’agit de définir le « macronisme » si tant est qu’il existe.  En vous lisant, on a l’impression que le macronisme se caractérise au moins par deux traits : la croyance dans les dogmes néolibéraux et une vision élitiste de la société. N’y a-t-il pas là une dimension foncièrement antisociale et antidémocratique ?

GD – Absolument. Au fondement du macronisme, on trouve à mon sens deux éléments complémentaires : un élitisme antidémocratique assumé et un profond mépris à l’égard des couches populaires. Emmanuel Macron et ceux qui le suivent ont, je pense, l’intime conviction que seule l’élite intellectuelle du pays, ou plus exactement celle qui dispose des diplômes les plus prestigieux, est légitime à le diriger. Et parce qu’elle sait mieux que le peuple ce qui est bon pour l’avenir de la France, elle a la mission, le devoir même, de le mettre en œuvre sans, voir contre ce peuple.

Cette élite administrative, politique et économique, structurée par les hauts fonctionnaires des grands corps de l’Etat, est persuadée depuis quarante ans déjà que les difficultés économiques rencontrées par le pays proviennent en premier lieu des travers de ce peuple : sa paresse due à ses congés trop nombreux et son temps de travail insuffisant, ses salaires trop élevés, des dépenses sociales trop généreuses qui désincitent au travail, des droits sociaux trop étendus qui découragent les entrepreneurs… Cette conviction est partagée à la fois par la droite de gouvernement et la gauche sociale-libérale qui alternent au pouvoir et tentent de « remédier » à ces problèmes en mettant en œuvre les recettes néolibérales à l’anglosaxonne. Mais cela ne fonctionne pas et au contraire les difficultés de la société et de l’économie françaises s’aggravent.

La conclusion qu’en a tiré l’aristocratie d’Etat dont Emmanuel Macron est le parangon ce n’est pas que ce diagnostic est faux et les remèdes qu’elle propose contreproductifs mais au contraire qu’il est urgent d’aller plus loin, plus vite, plus fort dans cette direction néolibérale en se dégageant enfin des contingences qu’ont introduit jusque là l’existence des partis traditionnels, les lourdeurs des débats parlementaires, les lenteurs des négociations avec les partenaires sociaux, les reculs engendrés par les mouvements sociaux… Avec Emmanuel Macron, l’aristocratie d’Etat a pris tout le pouvoir et entend rattraper le temps perdu en matière de réformes thatcheriennes en l’exerçant de façon totalement verticale et autoritaire.

BN – Quelles sont les principales « idées reçues » (sur le déficit de productivité des Français, sur le poids des dépenses publiques, etc.) que vous évoquez et qu’il convient de déconstruire selon vous ?

GD – Le problème n’est pas seulement en effet que l’aristocratie d’Etat macroniste soit antidémocratique et antisociale mais aussi qu’elle se trompe en réalité du tout au tout sur la nature et les causes des difficultés que rencontre la France du fait de son enfermement sociologique et idéologique et de sa méconnaissance du pays. Elle pense que les Français sont des paresseux alors qu’au contraire, si nous avons plus de chômage que beaucoup d’autres pays c’est parce que les Français ont plus productifs que les autres notamment parce que le temps partiel féminin est moins répandu chez nous. Si nous étions aussi « peu » productifs que des Allemands nous aurions plus de 3 millions d’emplois en plus… Emmanuel Macron et ses amis, comme leurs prédécesseurs depuis quarante ans, veulent absolument abaisser les dépenses publiques alors que celles-ci sont de plus en plus indispensables à la bonne marche du secteur privé concurrentiel qui a de plus en plus besoin d’une main d’œuvre bien éduqué et en bonne santé, d’un environnement sain et sécurisé, de moyens de communications fluides et disponibles en permanence, d’un cadre juridique, d’un état de droit crédible et fiable… Bref, pour faire du business et des profits, il faut de plus en plus de « biens publics » qu’on ne sait produire que par l’action publique. Qui plus est, les dépenses privées qu’il faudrait éventuellement substituer aux dépenses publiques ont une fâcheuse tendance à coûter plus cher au citoyen-consommateur comme le constatent à leurs dépens nos amis Américains en matière de dépenses de santé. Enfin, dans un pays aussi déséquilibré que la France par plusieurs siècles de centralisation, vouloir à tout prix réduire les dépenses publiques ne peut que faire éclater le pays comme Emmanuel Macron a déjà failli le faire avec la révolte des Gilets Jaunes. Emmanuel Macron pense aussi que les impôts qui pèsent sur les plus riches sont trop élevés et que c’est cela qui freine le dynamisme économique du pays. France Stratégie, qui n’est pas un repère de gauchistes, vient d’établir que, sans surprise, la disparition de l’ISF et l’abaissement de la fiscalité sur les revenus du capital avaient accru significativement les inégalités sans pour autant avoir un effet positif quelconque sur l’investissement.

Cela fait plus de 30 ans que nos élites politiques et économiques, de droite comme de gauche, partagent pour l’essentiel ce diagnostic et tentent de mettre en œuvre ces politiques néolibérales. Mais cela n’a pas amélioré la situation du pays et au contraire celle-ci s’est dégradée. Comme je l’ai indiqué précédemment, la conclusion qu’en ont tiré Emmanuel Macron et l’aristocratie d’Etat qu’il incarne ce n’est pas pourtant que cet échec était dû au fait que ce diagnostic était erroné et les remèdes contre productifs. Si cela ne marchait pas c’était parce qu’on n’était pas allé assez loin et assez fort dans cette direction néolibérale.

BN – Dans l’hypothèse peu probable d’un retour de la gauche au pouvoir, en quoi pourrait consister une politique économique qui permettrait de renouer avec les classes populaires tout en reposant sur un équilibre entre lutte contre les inégalités et lutte contre le réchauffement climatique ? 

GD – Ce qu’il nous faut surtout c’est plus de démocratie. La démocratie politique bien sûr en mettant à bas les institutions monarchiques qui caractérisent la cinquième République. Contrairement à la légende celle-ci ne favorise pas la stabilité politique mais l’instabilité en permettant à des dirigeants représentatifs d’un Français sur 5 de concentrer tous les pouvoirs pendant cinq ans. Sans surprise, du fait de leur faible assise, ils sont le plus souvent rejetés au bout de cinq ans et les suivants défont ce qui vient d’être fait. Créant ainsi une instabilité fondamentale des politiques publiques. Mais aussi plus largement en renforçant les corps intermédiaires au lieu de les mépriser. Il faut à coup sûr les pousser à se rénover et à coller davantage aux nouveaux mouvements de la société mais aucun pouvoir jupitérien ne peut tout résoudre d’en haut. Il faut en particulier retirer le contrôle des comptes sociaux à Bercy. Il faut aussi faire rentrer enfin la démocratie dans l’entreprise et pas de matière homéopathique : en adoptant les mêmes règles qu’en Allemagne qui font que c’est le pays où les entreprises appartiennent le moins aux actionnaires.

L’autre réforme essentielle c’est celle du rapport entre l’Etat, l’appareil d’Etat, et la société. L’Etat français a été conçu par des rois et par Bonaparte pour dominer et modeler la société, un travers accentué encore par Emmanuel Macron. C’est notamment pour ca que l’action publique est aussi inefficace en France parce que l’Etat ne tient aucun compte de l’avis, du ressenti, des critiques, des propositions des administrés dans la mise en œuvre des politiques publiques. C’est totalement inacceptable désormais avec des Français.es beaucoup plus éduqués que leurs ancêtres. Le problème de la France, ce n’est pas vraiment la taille de ses dépenses publiques, c’est surtout l’archaïsme de ce rapport entre Etat et société qui rend ces dépenses inefficaces pour corriger les inégalités et préparer effectivement l’avenir.

Comment renouer avec les classes populaires ? La gauche française est pour l’essentiel l’héritière du mouvement ouvrier du XIXème et XXème siècle. Celui-ci s’est construit sur un mythe auquel toutes ses composantes ont adhéré : tous les salariés ont fondamentalement les mêmes intérêts face à ceux du capital. Mais dans des sociétés comme les nôtres qui sont quasiment salariées à 100 %, ce mythe ne tient plus : de réelles divergences d’intérêts traversent le salariat. Or les partis et les syndicats hérités du « mouvement ouvrier » représentent surtout ceux des salariés des très grandes entreprises et de la fonction publique. Les autres, et notamment les vrais prolétaires qui existent toujours, se sentent abandonnés par la gauche classique et vont voir ailleurs.

Pour pouvoir les reconquérir, il ne suffit pas de leur rechanter la chanson du « tous les salariés ont les mêmes intérêts », il faut réellement prendre en compte leurs problèmes et leurs revendications spécifiques. Et cela implique bien souvent d’aller à l’encontre des intérêts de ce qu’est devenu la base sociale de la gauche classique : les cadres du privé et du public qui devront accepter de payer plus cher leur femme de ménage, leurs restaus et avoir moins de pouvoir dans leurs entreprises et moins de places pour leurs enfants dans des filières scolaires d’élite… C’est ça ou il faudra se résoudre à voir l’extrême droite, ou la droite extrême, ce qui revient de plus en plus au même, prendre le pouvoir en France avec le soutien de ces prolétaires. Un risque que renforce malheureusement, l’autoritarisme antisocial d’Emmanuel Macron.

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
Nabli Béligh
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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