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L’Iran, un géant régional aux pieds d’argile

Les manifestations hostiles au pouvoir iranien qui ont traversé le pays offrent un contraste saisissant. La montée en puissance de l’Iran dans la région du Golfe arabo-persique et du Moyen-Orient ne saurait en effet masquer les tensions économiques et sociales qui fragilisent le pays.

Alors que les États-Unis envisagent d’adopter de nouvelles sanctions contre l’Iran et viennent de solliciter une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, la proclamation – par les Gardiens de la révolution – de la fin du mouvement de protestation qui traversait le pays semble avoir atteint son but. La fermeté des officiels du régime semble avoir payé, du moins en apparence. La vague de manifestations populaires semble neutralisée, du moins en surface.

Certes, on est loin d’une quelconque révolution (post-islamique), mais cette séquence animée par des manifestations populaires – les plus importantes depuis 2009, lorsque les Iraniens s’étaient opposés à la réélection du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad – revêt un sens profond sur l’état de la société iranienne et la tension au sommet du pouvoir de la République islamique d’Iran.

UN RÉGIME, UNE POSITION ?

Manifestement, l’accord sur le nucléaire iranien et la levée des sanctions qui frappaient la République islamique n’ont permis ni de relancer l’économie du pays, ni de dégager un consensus politique sur son avenir.

Les mots d’ordre lancés par les manifestants – des jeunes éduqués, confrontés à un chômage endémique, mais aussi des personnes issues des classes populaires frappées par une politique de restriction budgétaire – mettent en avant la dégradation de la condition des citoyens iraniens et ciblent ceux qui sont tenus pour responsables du chômage massif, de l’inflation, de la politique d’austérité : non pas des puissances étrangères, mais les dirigeants du pays.

Or ces derniers se sont bornés dans l’adoption d’une posture rigide, de déni, avec une tonalité répressive et complotiste : le Guide suprême Ali Khamenei – l’autorité supérieure du clergé chiite, auquel il revient, selon la Constitution, de définir les « grandes politiques du régime de la République islamique » – et le président élu Hassan Rohani ont accusé « les ennemis de l’Iran » – les États-Unis et l’Arabie saoudite, pour ne pas les citer – de fomenter et de soutenir les troubles…

Le président Rohani, toutefois, conformément à son label de « réformateur », a souligné la nécessité de faire émerger « un espace pour que les partisans de la révolution et le peuple puissent exprimer leurs inquiétudes quotidiennes. » Un discours d’ouverture qui laisse apparaître les dissensions entre les blocs conservateurs et réformateurs au sein même des structures et allées du pouvoir iranien. Des clivages qui reflètent aussi les fractures au sein de la société iranienne, avec une jeunesse éduquée prête à s’ouvrir au monde, et une frange non négligeable soutenant encore le régime.

Paradoxalement, cette séquence de politique interne intervient au moment où l’Iran s’affirme plus que jamais comme une grande puissance régionale du Golfe arabo-persique et du Moyen-Orient. Du conflit israélo-arabe à la crise syrienne et irakienne en passant par la guerre civile au Yémen, l’Iran est un acteur central dans l’équilibre régional. Le président Macron semble lui-même l’avoir admis avec réalisme et pragmatisme.

La politique d’hégémonie régionale de l’Iran est perçue comme une menace directe pour l’Arabie saoudite et ses alliés régionaux (à savoir l’essentiel des micro-monarchies du Golfe, excepté le Qatar). Une stratégie qui s’inscrit dans l’histoire contemporaine du pays.

BRISER LE « BLOC SUNNITE »

Relativement admise par les Occidentaux à l’époque du Shah, lorsque l’Iran était promu par les États-Unis « gendarme du Moyen Orient » en vue de préserver l’exploitation des gisements pétrolifères de la région, toute velléité expansionniste est devenue inconcevable depuis la Révolution islamique (en 1979) et l’instauration d’une République théocratique chiite théorisée et incarnée par la figure de l’ayatollah Khomeiny (sa doctrine du « velayat-e faqih » (« gouvernement du docte »)confère au « docte religieux » le pouvoir politique).

Un évènement historique qui a provoqué une remarquable onde de choc, la nouvelle théocratie islamique étant perçue comme une menace par l’Occident comme par la plupart des régimes arabes « laïcs » ou fondamentalistes sunnites. Du reste, c’est l’Irak – et le régime baasiste – de Saddam Hussein qui a attaqué l’Iran, avec le soutien des Occidentaux, lors de la première guerre du Golfe (1980-1988). Les pays arabes voisins sont accusés par l’Ayatollah Khomeiny d’être dirigés par des « pouvoirs impies soumis aux puissances impérialistes. »

L’Iran sort en position de force de la guerre syrienne. Pourvoyeur de fonds, d’armes et d’hommes, son implication est l’une des clefs d’explication du maintien au pouvoir du régime Assad.

Autoproclamé « défenseur de tous les musulmans » (article 152 de la constitution), le régime des mollahs a opté pour une politique d’influence ou d’hégémonie politique, plutôt que l’invasion des territoires (terrestres et maritimes) convoités. Une alliance stratégique a ainsi été scellée en 1982 avec le régime syrien tenu par les chiites alaouites et les chiites libanais du Hezbollah. En réaction, les États-Unis, soutenus par les monarchies sunnites du Golfe et par l’Arabie saoudite en particulier, fragilisées par la présence de fortes minorités chiites en leur sein (communauté majoritaire à Bahreïn), ont déployé une stratégie d’encerclement et d’isolement de l’Iran.

Outre l’installation et le renforcement progressif de bases militaires de l’Arabie saoudite à l’Afghanistan en passant par le Qatar et les Émirats Arabes Unis, ces pays arabes se sont regroupés au sein du Conseil de coopération du Golfe. Afin de briser le « bloc sunnite », l’Iran a tenté de se faire le nouveau porte-drapeau de la « cause palestinienne », en l’« islamisant » et en la « désarabisant », tentative qui a causé des tensions diplomatiques avec Israël et qui s’est traduite par un soutien matériel et financier aux islamistes sunnites du Hamas (au pouvoir à Gaza).

Surtout, la chute du régime de Saddam Hussein a permis à la majorité chiite de s’imposer au sein du nouvel appareil d’État irakien. Par une ruse de l’histoire, l’intervention américaine en 2003 a renforcé la stratégie d’influence iranienne, censée être symbolisée par l’image – artificielle – de l’« arc chiite » (allant des Hazaras d’Afghanistan aux minorités chiites présentes en Arabie Saoudite et au Yémen). Une image construite et diffusée par le royaume wahhabite et confortée par l’intervention iranienne en Syrie.

L’Iran sort en effet en position de force de la guerre syrienne. Pourvoyeur de fonds, d’armes et d’hommes, son implication – avec son allié le Hezbollah libanais, et aux côtés des forces russes – est l’une des clefs d’explication du maintien au pouvoir du régime Assad. L’avenir de la Syrie se fera forcément avec l’Iran. Une réalité qui explique aussi la fébrilité des pays du Golfe en général et de l’Arabie saoudite en particulier. Une position de force de l’Iran susceptible d’être remise en cause par ses fragilités internes ?

© Photo : Radio Canada

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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