Le nouveau projet de « loi bioéthique » invite au débat, et ce au-delà des commissions et assemblées parlementaires. Si son contenu est particulièrement technique (le pointillisme des 32 articles de ce texte frise le juridisme), ses enjeux dépassent le simple débat social pour aller flirter avec la définition de notre condition, de notre humanité. On ne saurait dès lors y rester insensible. Derrière l’élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes ou le « droit » à l’information génétique, c’est une vision de l’humanité comme collectif et de l’homme comme espèce qui tend à se dessiner. Le mode d’organisation sociale qu’est la famille nucléaire évolue au profit de nouvelles relations, et les techniques de procréation modernes révolutionnent la continuation de l’espèce. Pour dépasser les passions tristes et joyeuses soulevées par cette loi et y poser un regard serein, une prise de distance est nécessaire.
Conçue comme discipline dans la seconde moitié du XXe siècle à la suite des crimes (mis en lumière par le procès de Nuremberg) perpétrés par des scientifiques du IIIe Reich, la bioéthique s’intéresse aux questionnements éthiques suscités par les avancées des sciences de la vie : composé du préfixe grec bios : vie et du bas latin ethicus, – du grec ethikos : moral, relatif aux mœurs, « bioéthique » désigne la prise en compte de considérations éthiques dans la sphère du vivant. Elle s’arrête pourtant bien souvent aux considérations relatives à l’humain : la discipline comporte ainsi une part de complexité et d’ambigüité intrinsèque, qui tient au fait qu’elle procède de représentations et de constructions socio-politiques qui trouvent ensuite un prolongement dans la production de normes juridiques.
La bioéthique n’est dès lors pas une matière neutre : elle revêt un intérêt et une dimension politiques, juridiques et philosophiques. Le corps humain représente en effet un objet de pouvoir. Le « biopouvoir »[1] – néologisme utilisé par Michel Foucault pour identifier l’exercice du pouvoir sur la vie des individus et des populations – renvoie précisément à cette idée d’emprise du pouvoir politique sur le corps et la vie des individus, « une politique qui fait de l’espèce humaine l’objet d’une stratégie générale de domination »[2]. Derrière les règles et normes relatives au corps humain (son hygiène, sa santé, sa contraception, etc.) se cachent des enjeux de contrôle de la population et de la vie elle-même témoignant d’une extension du domaine du pouvoir. L’État et sa loi n’y est d’ailleurs pas le seul acteur : outre des experts (médecins, chercheurs, psychanalystes, etc.), des puissances économiques (entreprises, parfois multinationales issues des bioindustries) et autres groupes de pression (organisations confessionnelles, associations paramédicales, associations de patients, etc.) sont mobilisés. Quant à la philosophie et au droit, il leur revient de nous éclairer sur les interrogations et enjeux que suscite une « loi bioéthique ».
« La bioéthique en question » – Débat avec :
- Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, directrice du CREDOF (Centre de recherches et études sur les droits fondamentaux).
- Dominique Folscheid, professeur émérite de philosophie morale à l’Université de Marne-la-Vallée, co-directeur du département de recherche éthique et biomédicale du collège des Bernardins.
Modération par Béligh Nabli, co-fondateur du collectif Chronik.
[1] M. FOUCAULT, Naissance de la biopolitique, Cours au collège de France 1978-1979, Hautes études, Gallimard-Seuil, 2004.
[2] D. BORILLO, Bioéthique, Paris, Dalloz, coll. À savoir, 2011, p. 120.