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Soizic Bonvarlet : « Je ne pense pas que les habitants des quartiers populaires soient  »dépolitisés », au contraire »

  • Journaliste à LCP et membre de Chronik, Soizic Bonvarlet signe un film-documentaire – coréalisé par Nathaël Rusch – sur les coulisses de la campagne municipale parisienne, en suivant les militants du 18e arrondissement et de son quartier emblématique « la Goutte d’Or ». Ce travail recèle un certain nombre d’enseignements sur la France des quartiers populaires et le rapport qu’entretiennent leurs habitants avec la politique et la Res publica.

 

BN – Votre documentaire se concentre sur la campagne municipale à la Goutte d’Or, quartier emblématique du Paris populaire et cosmopolite. Au regard du niveau d’abstention exceptionnel qui a marqué ces élections municipales, est-ce que vous avez perçu une forme de dépolitisation ou plutôt un «désenchantement» démocratique parmi la population de ce quartier populaire ?

SB – Je ne pense pas que les habitants des quartiers populaires, et notamment dans le secteur de Barbès, soient « dépolitisés », au contraire. On le perçoit dans le film, sur le marché notamment, dans les cafés, au square, quand les militants viennent à leur rencontre, les habitants sont très réceptifs, ont envie de débattre, de parler politique, et ce aussi bien en évoquant les problèmes qui se posent à eux au quotidien que les grandes dynamiques qui traversent le monde en termes de politique étrangère, de modèle économique, de réchauffement climatique… Par ailleurs, la Goutte d’Or est un quartier qui concentre beaucoup d’associations (de soutien aux exilés, d’aide aux devoirs, de droit au logement, d’écologie urbaine), au sein desquelles nombre d’habitants du quartier, tous profils sociologiques confondus, sont largement impliqués. C’est aussi un territoire historiquement engagé, depuis les révolutions du 19ème siècle au moins, Louise Michel, parmi d’autres Communards, y a d’ailleurs vécu, puis au mitan du 20ème siècle avec le FLN qui y était fortement implanté, puis encore les luttes des sans-papiers.

Mais qu’il y ait une forme de méfiance à l’endroit du personnel politique, certainement, et ce à l’image du pays en général, particulièrement dans les milieux où l’on ne bénéficie pas des retombées de la start-up nation. Mais avec les militants que Nathaël Rusch et moi avons choisi de suivre, qui étaient souvent des électrons libres, ou pratiquant la politique exclusivement à un niveau très local, voire habitant eux-mêmes le quartier, ce phénomène était réellement minoré, les interactions étaient relativement fluides. En revanche, concernant les politiques « de premier plan » qui ont pu venir durant la campagne, je pense à Rachida Dati par exemple, qui a été somme toute plutôt bien accueillie, il y a malgré tout une conscience chez beaucoup d’habitants d’une « instrumentalisation » de leur quartier, le mot a d’ailleurs été employé par des jeunes que l’on a rencontrés durant le tournage. Le sentiment est donné qu’on se rend à la Goutte d’Or uniquement en période de campagne électorale, et ce pour démontrer sa capacité de prendre à bras le corps les problèmes présumés d’insécurité, ce qui est très stigmatisant pour le quartier et ses habitants.

 

BN – Est-ce qu’un véritable clivage droite-gauche était perceptible durant la campagne ? Est-ce qu’En Marche a su parler et nouer le contact avec l’électorat populaire ?

SB – La candidate LaREM que nous avons suivie, Gertrude Dodart, travaille à la Goutte d’Or depuis des années, au sein d’associations culturelles, a participé à différents conseils de quartier, et connaît la plupart des habitants. Donc dans ce cas précis, autant dire qu’il n’y avait pas de greffe à opérer. Pour ce qui est de la tête de liste, Pierre-Yves Bournazel, qui est député du 18ème arrondissement, ce serait mentir que de prétendre qu’on ne l’a pas vu souvent sur le terrain, à part durant la période où il était cas suspect de coronavirus. En revanche, Agnès Buzyn est venue, mais une seule fois durant la campagne, en tout cas à ma connaissance, et nous n’avons pas pu la suivre. Difficile de dire comment a été noué le contact avec les gens du quartier. Ce qui est sûr c’est que le score de Pierre-Yves Bournazel au second tour de scrutin (16, 68%), derrière le candidat LR Rudolph Granier (21, 25%), a été très décevant pour son équipe.

Pour ce qui est du clivage droite-gauche, bien qu’on ait tendance à dire que le 18ème est un bastion de la gauche parisienne, je pense premièrement qu’il y a une droite qui y est malgré tout assez implantée, bien que minoritaire, et que par ailleurs, il est vrai que pour beaucoup de gens, ce clivage « droite-gauche » est aujourd’hui brouillé, même quand ils adhèrent viscéralement et concrètement à des valeurs de gauche, qu’ils ne retrouvent pas forcément aujourd’hui portées par des partis qui eux, se revendiquent de gauche.

 

BN – Peut-on tirer des enseignements de politique nationale à partir de la victoire de la gauche à Paris, y compris dans le 18e arrondissement ? Le nom d’Anne Hidalgo est désormais cité parmi les candidates possibles à l’élection présidentielle.

Je ne sais pas, la perception du PS local est selon moi assez différente de son image au niveau national, et les logiques qui régissent les votes lors d’une élection présidentielle sont semble-t-il assez différentes de celles qui s’exercent lors d’un vote local. Ce qui est sûr, c’est que dans le 18ème, Eric Lejoindre a gagné avec voire grâce aux écolos, qui incarnaient dans cet arrondissement une liste particulièrement sensible à la question sociale, et qui ont fait un excellent score de premier tour (17, 16%). Les futurs candidats dits de gauche à la présidentielle ont certainement tout intérêt à s’inspirer de ce type de coalition.

 

  • Le lien vers le documentaire : https://www.france.tv/france-3/la-france-en-vrai/1…
Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
Nabli Béligh
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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