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Sortir de la tenaille idéologique entre néolibéralisme et nationalisme

  • Par Louis Élisée*, politiste

 

Une partie substantielle de la gauche n’est plus seulement inaudible, elle se fait la chambre d’écho de la rhétorique nationaliste et néolibérale de la droite. Cette lente dérive se heurtera-t-elle à un « sursaut idéologique »? On peut en douter. Sommes-nous condamnés à une forme d’indignité et à une sortie de l’Histoire ? Pas forcément…

 

Droitisation des esprits

 

À l’instar de leurs homologues de droites, la plupart des candidats de gauche déclarés – ou putatifs – à la présidence de la République ont un point commun : axer leur marketing électoral sur la question nationale-républicaine, soit pour épouser des thèses fleurant bon la nostalgie vichyssoise, soit pour les combattre ; mais, le plus souvent, pour invoquer la défense « républicaine » de la laïcité. Dans tous les cas : participer à la construction des musulmans en problème public, consciemment ou non.

 

On ne s’étonnera pas de ce que les droites se délectent d’une configuration idéologique dont elles sont les principaux acteurs : elles en fixent les termes, la ligne de clivage, et polarisent à leur gré le champ politique en excluant de facto ceux qui ne peuvent y apporter qu’une réponse hors sujet : les gauches.

 

Ce basculement a bien été repéré et analysé, récemment, par l’historien Gilles Richard dans son Histoire des droites en France de 1815 à nos jours (Perrin, 2017). L’auteur montre comment l’impéritie de la gauche, arrivée au pouvoir en 1981, à répondre selon ses principes à l’entrée de la France dans l’ère du chômage de masse a conduit à délégitimer la question sociale qui prévalait jusqu’alors. En subordonnant au rétablissement des « grands équilibres » économiques la lutte contre le chômage et la pauvreté, François Mitterrand prenait acte du « consensus » néolibéral, brouillait la frontière entre gauches et droites et laissait ouverte la restructuration du système partisan sous l’impulsion du Front national et de son slogan : « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ». Le premier parti de gauche avait abandonné à la droite nationaliste la lutte des classes et, par là même, fait de la question nationale la ligne de clivage prééminente du système partisan, désormais scindé entre « mondialistes » et « nationalistes », libéraux et antilibéraux de droite.

 

 

Queue de comète du tournant néolibéral

 

Le tournant néolibéral du PS, rejoint progressivement par le rejet de ou la rupture avec l’anticapitalisme des Verts et du Parti communiste, aurait pu aboutir à la formation d’un arc mondialiste-européiste-libéral opposé à un bloc nationaliste formé par le Front national et le ralliement d’une partie des Républicains. N’est-ce pas d’ailleurs le sens de la candidature d’Emmanuel Macron en 2017, qui représente, à cet égard, la phase terminale de la conversion entamée par la gauche en 1983-1984. La déliquescence des deux grandes forces partisanes de la Ve République (PS et LR), illustrée de façon exemplaire lors de ce scrutin, est effectivement le témoin de cette reconfiguration du système partisan entre libéraux et nationalistes.

 

Pourtant, de façon plus ou moins souterraine – et avant qu’elle n’éclate au grand jour durant le quinquennat de François Hollande –, la gauche sociale-démocrate s’est appropriée la rhétorique nationaliste. Les sorties de Manuel Valls sur les Roms et les « blancos » et la proposition de déchéance de la nationalité, entre autres, ont ouvert la voie à une synthèse libérale-nationaliste qui trouve désormais des émules sur l’ensemble de l’échiquier politique, avec, pour les plus « gauchistes » d’entre eux, un appel à la régulation du capitalisme et à la défense de la laïcité.

 

Cette synthèse trouve ses fondements même dans le tournant néolibéral, pour des raisons à la fois électorales et idéologiques. D’une part, la fuite d’une partie de l’électorat populaire vers le FN et la mainmise de la droite sur l’électorat petit-bourgeois entamaient sérieusement le réservoir de voix du PS et de ses alliés. D’autre part, le discours néolibéral, fondé sur l’éviction des masses du champ politique (depuis la faveur accordée dès la Révolution française au mandat représentatif contre le mandat impératif, à la « souveraineté nationale » contre la « souveraineté populaire »), est parfaitement entré en congruence avec le discours nationaliste, fondé sur la haine du xénos – les classes dangereuses des libéraux venant opportunément recouper l’ennemi racial des nationalistes : les musulmans.

 

Néolibéraux et nationalistes étaient voués à se rencontrer sur le chemin du rejet de l’autre : les uns sur des critères essentiellement socioéconomiques, les autres suivant des considérations ethnoculturelles. Dans les deux cas, c’est la réponse sécuritaire qui prime.

 

Pour que renaisse la gauche

 

Les gauches sont désormais empêtrées dans ce glissement général du système partisan vers cette synthèse libérale-nationaliste. Pour autant tout espoir n’est pas perdu. D’abord parce que cette synthèse ou ce « brouillage » touche aussi brutalement les droites. Fini le temps en effet où s’opposaient, d’un côté, un candidat cochant toutes les cases du libéralisme (économique, politique, socioculturel) et de l’européisme et, de l’autre, une candidate ostensiblement antilibérale – prônant la baisse de l’âge du départ à la retraite, l’augmentation des bas revenus… – et antieuropéenne (« Frexit »,retour au franc) par-dessus le marché. D’une part, le président et son gouvernement ont fait du « séparatisme » musulman l’un des problèmes cardinaux du pays. D’autre part, la sortie de l’UE et de la zone euro ne sont plus à l’ordre du jour côté RN ; avec le départ de Florian Philippot, le discours libéral d’un Jean-Marie Le Pen s’est réinstallé au centre du programme économique du parti. Quant à LR, s’il pouvait maintenir cette ligne paradoxale sous l’ère Sarkozy, son espace politique se réduit désormais comme peau de chagrin face à ces deux nouveaux hēgemónes.

 

Que peut faire la gauche pour sortir de ce marasme ? Alors que les droites s’entredévorent, elle tient une occasion inespérée de refaire surface grâce à (ou à cause de) la question écologique, avec un discours tout tracé allant de l’anticapitalisme à la relocalisation des activités, en passant par la sobriété technologique (face à la technolâtrie des droites, dévastatrice tant en termes écologiques que sociaux) et la démocratisation du processus politique.

 

Pour ce faire, la première étape est de jeter aux oubliettes ce (faux) « problème musulman », qui n’est, faut-il le rappeler, qu’une manœuvre de diversion faite pour occulter les seuls problèmes véritables que sont l’extension de la misère et la destruction de la planète.

 

La deuxième étape est de rompre clairement, sans ambages, avec le capitalisme. Non, on ne régule pas le capitalisme, on l’abat. Ceux qui affirment le contraire sont soit dépourvus de culture politique soit des tartufes.

 

La troisième et dernière étape est de désigner le candidat susceptible de recueillir le plus de suffrages – hors de toute considération politique dès lors qu’aura été établi un programme clairement anticapitaliste et (donc) écologiste. La primaire ouverte, actuellement organisée, pourrait être utilement mobilisée à cette fin : trouver cette « incarnation » que requièrent le mode de scrutin et les institutions de la Ve République.

 

Face à la radicalisation des positionnements politiques et à la transformation des adversaires d’hier en ennemis d’aujourd’hui ; face à la légitimation du recours à la violence politique ; face à généralisation d’un discours raciste, qui incite à la haine jusque contre des enfants, sur les étagères de nos librairies en agitant la peur d’un « grand remplacement » ; enfin, face à la montée de tous ces périls (sociaux, politiques, écologiques), 2022 pourrait être la dernière chance offerte à la gauche d’offrir une autre voie et, par la même occasion, de retrouver sa dignité.

 

  • : pseudo d’un chercheur en sciences politiques.

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