Le corps sans vie de Santiago Maldonado a été découvert le 17 octobre dernier. Le jeune Argentin a été vu en vie pour la dernière fois le 1er août à Cushamen, dans la province de Chubut, en Patagonie. Présent lors d’un rassemblement réclamant la libération du leader mapuche Francisco Jones, il était monté dans un fourgon de la gendarmerie après que celle-ci eut violemment dispersé la manifestation.
Santiago Maldonado a été retrouvé mort dans les eaux d’un fleuve du sud de l’Argentine, à l’issue de deux mois durant lesquels il était demeuré introuvable, et d’une mobilisation sans précédent dans le pays pour un disparu de la démocratie. Il faut dire que l’opinion avait déjà été sensibilisée par la disparition en 2009 de Luciano Arruga, âgé de 16 ans au moment où il a été intercepté par la police de Buenos Aires, et bien avant cela, par les crimes de la dictature (1976-1983), dont les plaies sont encore à vif. Un passé qui a décidemment du mal à passer.
Et pour cause, en Argentine la police n’a jamais été purgée suite à l’une des périodes les plus sombres de son histoire. En 2006, 20 % des effectifs de la police provinciale de Buenos Aires étaient encore des fonctionnaires ayant exercé durant la dictature. Si cette proportion a décru, depuis, avec le départ en retraite de certains de ces derniers, le phénomène persiste avec, au sein du contingent, des ex-membres de la DIPBA (Direction d’intelligence de la police de Buenos Aires), organe spécifique chargé de poursuivre les « subversifs », militants de gauche anti-dictature.
Cette unité avait pour pratiques de base les séquestrations d’abord, avec actes de torture, puis les disparitions. Trente mille au total pour la période allant de 1976 à 1983, selon les organismes de défense des droits de l’homme. Nombre de ces desaparecidos ont été enterrés comme anonymes ou victimes des « vols de la mort », durant lesquels ils étaient jetés depuis des avions militaires dans le Rio de la Plata.
LES VIOLENCES POLICIÈRES, UN PHÉNOMÈNE MONDIAL
Si la pratique de la disparition est spécifique à l’Argentine, pour les raisons historiques que nous avons tenté d’esquisser, Santiago Maldonado est une victime parmi tant d’autres de la brutalité policière mondiale, sur laquelle les États excluent systématiquement de se pencher. Un tabou qui, au contraire d’être bénéfique aux policiers, évidemment loin d’être tous concernés, creuse un sentiment de défiance généralisé à leur égard.
Dans cette obsession d’occultation de la part du sommet des États, il y a une peur, celle du cri populaire réclamant justice. C’est ce qui est en train d’arriver en Argentine, avec des rassemblements multitudinaires alors que le corps de Santiago n’avait pas encore été retrouvé, faisant redescendre dans la rue ceux qui réclamaient déjà « l’apparition en vie » des victimes de la dictature, aux premiers rangs desquelles les mères de la Place de Mai, il y a plus de trente ans.
Réclamer systématiquement des comptes aux États sur les cas avérés ou présumés de criminalité policière relève de la nécessité, du devoir citoyen.
Pas plus tard que le 1er novembre, une marche à Buenos Aires a rassemblé plus de 120 000 personnes arborant le portrait du jeune homme de 28 ans. Le président de centre-droit, Mauricio Macri, et son gouvernement ont été largement mis en cause, ayant d’abord nié en bloc la possibilité d’une responsabilité de la gendarmerie dans la mort de Santiago Maldonado, avant de tenter d’imposer le silence à son sujet.
Dans le cas argentin, et malgré une relative confortation par les urnes de la coalition au pouvoir lors des dernières élections législatives partielles, l’État est en train de subir ce qu’il redoute toujours dans un tel scénario : une déstabilisation qui se fait de plus en plus pressante, cristallisant et drainant d’autres motifs de révolte populaire jusqu’ici sous-jacents.
FRANCE, ARGENTINE, DES PROBLÉMATIQUES COMMUNES ?
Les noms de Lamine Dieng, d’Adama Traoré et plus récemment de Théodore Luhaka témoignent d’un problème de l’usage de la force répressive très prégnant dans notre pays, risquant de s’aggraver avec la dernière loi antiterroriste qui vient d’entrer en vigueur. Un rassemblement réclamant « justice pour Théo, et pour toutes les victimes de violences policières » était organisé le 28 octobre devant le tribunal de Bobigny.
Si, en France, les jeunes des quartiers populaires issus d’une histoire familiale liée à l’immigration sont les plus touchés – rappelons que selon les chiffres de l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, les personnes appartenant à la communauté noire et celle d’origine maghrébine sont près de huit fois plus visées par les contrôles policiers -, en Argentine ce sont les peuples autochtones qui sont particulièrement vulnérables, les rassemblements visant à dénoncer la spoliation de leurs terres étant presque systématiquement réprimés dans la violence.
Et il y a les jeunes des bidonvilles, comme Luciano Arruga, parfois issus d’une récente immigration paraguayenne ou bolivienne, population pauvre que nombre d’Argentins ont pour habitude d’appeler « negros », dans une forme de racisme social qui se confond avec un racisme plus « classique » ultra-intégré, basé sur des stéréotypes physiques se rapportant au portègne moyen, issu de l’immigration européenne du tournant des 19ème et 20ème siècles.
Pour ce qui est de Santiago, il a été interpellé sur l’une des immenses propriétés que le géant Benetton possède en Patagonie – pas moins de 900 000 hectares au total -, territoire que revendiquent les Mapuches. La dimension directement politique, avec une stratégie d’occupation des terres, rappelle tristement les circonstances de la mort de Rémi Fraisse, tué en octobre 2014 à Sivens, lors d’une manifestation contre le projet de barrage controversé.
VERS UNE PRISE DE CONSCIENCE INTERNATIONALE ?
Il y a aujourd’hui des ponts qui traversent l’Atlantique. La disparition de Santiago a eu un écho en France, au travers notamment d’une tribune parue dans Libération avant la découverte du corps, à l’initiative d’universitaires et du porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, ou encore de la députée insoumise, Danièle Obono. En juin, un collectif de chercheurs en sciences humaines et sociales avait déjà appelé à « faire front contre les violences policières. » Par ailleurs, les plaintes sont de plus en plus nombreuses (+22 % en 2016), en raison d’une recrudescence inquiétante de ce type d’actes, mais aussi d’une libération de la parole des victimes.
Et en février dernier, c’est l’ONU qui interpellait la France à propos des affaires Luhaka et Traoré. Si le phénomène des violences policières n’est évidemment pas nouveau, des voix s’élèvent, perçant les frontières, pour protester contre l’immuabilité de ces excès. Le film coup de poing Detroit, de la réalisatrice Kathryn Bigelow, qui revient sur les émeutes de 1967 dans cette ville du Michigan et s’interroge dès son prologue sur la permanence de la répression des Noirs par l’Amérique blanche, participe de ce contexte. Des mouvements à l’ampleur inédite s’organisent aux États-Unis, à l’instar de « Black Lives Matter », né en 2012. À noter qu’en juillet 2016, le collectif s’était exporté à Paris, réclamant justice pour Adama Traoré.
S’agit-il là des prémices d’une prise de conscience mondiale, à l’instar de ce qui se passe actuellement autour des actes de harcèlement qui visent les femmes ? Réclamer systématiquement des comptes aux États sur les cas avérés ou présumés de criminalité policière relève en tout cas de la nécessité, voire du devoir citoyen. C’est aujourd’hui ce que réalise une partie du peuple argentin qui, alors que l’autopsie du corps retrouvé le 17 octobre vient de confirmer qu’il s’agissait bien de celui du jeune militant, n’a de cesse, dans la rue mais aussi sur les réseaux sociaux, de clamer inlassablement : « Qu’est-il arrivé à Santiago Maldonado ? »
© Photo : Flickr
Soizic Bonvarlet
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