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Macron, la nation et l’Europe

Emmanuel Macron a été élu à la présidence de la République l’année de la commémoration du soixantième anniversaire du traité de Rome, pilier de l’actuelle Union européenne. Un symbole pour celui qui a été le seul, durant la campagne présidentielle, à afficher sa foi dans le projet européen.

Conscient de la crise existentielle qui traverse l’Europe, le président Macron avance l’idée d’une « souveraineté européenne », une notion juridiquement incongrue, mais politiquement significative, en ce sens où elle met en cause l’État-nation comme échelon pertinent de l’action politique dans un monde globalisé.

Co-fondatrice de la Communauté et de l’Union européennes, la France projette traditionnellement dans la construction européenne son ambition de rayonner sur la scène internationale. L’Europe comme « levier de la volonté de puissance de la France », telle est la stratégie dans laquelle s’inscrit également le président Macron. À ceci près qu’il tente de conjuguer cette ligne de conduite diplomatique avec une démarche politique ambitieuse : redonner du sens à l’Europe.

La vague d’euroscepticisme qui traverse les scènes politiques nationales se nourrit du sentiment d’impuissance/inutilité de l’Union européenne. Le doute sur la « volonté de construire ensemble » et le réflexe du repli sur soi se sont profondément ancrés. Entre le retrait britannique ou Brexit, la montée des forces populistes anti-européennes et la tentation nationaliste ou sécessionniste de certains, l’Histoire semble contester la raison d’être de la construction européenne.

Pis, l’intégration, la fédéralisation et la supranationalité ont été rayées de l’agenda politique des leaders et peuples européens. La frontière, la nation et la souveraineté, tels sont les éléments constitutifs du triptyque européen. Un juste retour au vieux paradigme apparemment en crise : l’État-nation souverain.

 

LA CRISE DE L’ÉTAT-NATION SOUVERAIN

Pour un État unitaire, héritier de la tradition jacobine et napoléonienne, les implications de l’appartenance à l’Union européenne sont parfois perçues comme susceptibles d’affecter « le principe même de l’existence française, [en qualité d’] État national », selon la formule de Raymond Aron. Une tendance accrue par la conjugaison des effets de la mondialisation économique, de la globalisation financière et du progrès technique et technologique.

Partant, la question qui se pose est de savoir si les États sont à même d’assumer leur rôle historique de conduire les nations sur le chemin qu’elles souhaitent emprunter en leur assurant leur liberté extérieure. L’incapacité de l’État à juguler les maux les plus graves affectant la société entame la confiance des citoyens à son endroit. Le malaise existentiel contemporain est nourri par le sentiment d’impuissance de la puissance étatique et par l’impression d’assister à la fin de l’ère de l’État national souverain et protecteur.

L’avènement d’un ordre global déstructuré échappant à la seule volonté de l’État vient troubler des imaginaires et représentations mentales saisies par la désétatisation des sociétés humaines et par la mise en cause de l’État comme cadre structurant l’ordre (inter)national.

UNE « SOUVERAINETÉ EUROPÉENNE » AU NOM DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS-NATIONS

C’est à partir de cette tension que la stratégie européenne du président Macron s’est construite. Outre le choix de placer la (gouvernance repensée de la) « zone euro » au cœur de la reconstruction européenne, sa réflexion est fondée sur l’idée de « souveraineté européenne », telle qu’explicitée dans son fameux discours à la Sorbonne, le 26 septembre dernier : « nos défis ne sont plus à l’échelle des nations », parce que « la souveraineté véritable doit se construire dans et par l’Europe ! Celle dans laquelle nous croyons ! La souveraineté que nous voulons, c’est celle qui consiste précisément à conjuguer nos forces pour bâtir ensemble une puissance européenne. » Cette « souveraineté européenne nous permettra de nous défendre et d’exister. »

Autrement dit, il ne s’agit nullement de reconnaître la qualité de souverain – et donc d’État – à l’Union européenne (un statut qui remettrait en cause la souveraineté des États membres eux-mêmes), mais de mieux combiner les souverainetés/puissances nationales pour assurer une indépendance et une protection communes.

La question se pose de confier les missions régaliennes traditionnellement reconnues aux États-nations à une « Europe puissance. »

Lorsque le président Macron déclare, toujours à la Sorbonne, que « l’Europe seule peut nous donner une capacité d’action dans le monde, face aux grands défis contemporains. L’Europe seule peut, en un mot, assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts », l’idée est claire : affirmer la puissance de l’Europe pour renforcer la puissance de l’État et mieux protéger ainsi les nations.

L’Europe puissance est une Europe protectrice. C’est aussi cette conception de la « souveraineté multi-niveaux » qui a été défendue dans le cadre des cérémonies du 11 novembre, par les présidents français et allemand qui se s’étaient réunis au sommet du Hartmannswillerkopf pour l’inauguration d’un musée historique sur la guerre de 14-18.

L’appartenance à l’Union européenne ne commande pas la fin de l’État-nation ou l’entrée dans l’ère de « l’État post-souverain. » Repenser l’Union, c’est repenser les États de/dans l’Union. La quête de sens politique de l’intégration européenne concerne d’abord les États, dont les fondements – postulat de souveraineté et « contrat social » – sont mis à l’épreuve. D’ailleurs la « mondialisation » englobe-t-elle non seulement le sens profond de l’unification de l’Europe, mais aussi le rôle des États-nations et leurs rapports avec l’Union européenne.

La question se pose de savoir s’il ne faut pas confier les missions régaliennes traditionnellement reconnues aux États-nations à une « Europe puissance. » Et si le réveil des nationalismes représentait finalement une opportunité historique pour faire renaître l’idéal européen ?

© Photos : Flickr

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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