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Asile et immigration : une « politique de fermeté » contre le « devoir d’humanité »

  • Paul CHIRON, juriste spécialisé en droit des étrangers

 

L’actualité est une nouvelle fois ponctuée par des débats sur l’accueil de personnes exilées ; et une nouvelle fois ce débat est marqué par une opposition frontale entre, d’un côté, les partisans de l’accueil et de la protection, comme le droit international nous y oblige et comme nos valeurs nous le commandent ; et, de l’autre, les partisans du repli sur soi et de la lutte contre l’immigration dite « irrégulière ». Le président de la République entretient de manière flagrante cette tension au sein de la société en soulignant le devoir de la France de « protéger celles et ceux qui sont les plus menacés », tout en affirmant la nécessité de « nous protéger contre les flux migratoires irréguliers importants ». Cette opposition entre protection des personnes cherchant refuge et de protection de notre société est une erreur. C’est la même opposition qui était présentée lors des débats sur la « loi asile-immigration », cette opposition entre l’humanité et la fermeté affichées comme étant les nécessaires faces d’une même pièce. Malheureusement, la « politique de fermeté » a pris le pas sur notre « devoir d’humanité ». Le refus d’un accueil inconditionnel aux personnes fuyant les persécutions qu’elles peuvent légitimement craindre de la part des Talibans n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres.

 

La fermeté, synonyme de crédibilité ?

 

L’enjeu de crédibilité de la politique migratoire est continuellement présenté sous l’angle de la fermeté. Il est ainsi avancé qu’il est nécessaire de faire preuve de fermeté dans ce domaine afin d’être en mesure de garantir une politique migratoire humaine envers celles et ceux qui le mériteraient. Cette balance entre fermeté et humanité c’est celle de l’élément de langage de La République En Marche lors des débats concernant la loi asile immigration,[1] c’est celle également qui est faite actuellement entre l’accueil au titre de l’asile et la lutte contre l’immigration irrégulière et c’est également celle qui a fait naître la dichotomie caricaturale entre le bon et le mauvais migrant[2] Cette présentation peut sembler grotesque mais elle est récurrente que cela soit dans les médias ou les discours politiques. Emmanuel Macron l’a par exemple clairement présentée dès 2017 lors de son discours d’Orléans durant lequel il présentait la feuille de route sur les questions migratoires pour son quinquennat. Cette vision manichéenne a également été largement reprise par Gérard Collomb (alors ministre de l’Intérieur), qui défendait la « loi asile-immigration » en ces termes : « C’est un projet de loi totalement équilibré. Il reprend deux grands principes : la France doit accueillir les réfugiés, mais elle ne peut accueillir tous les migrants économiques ».[3] Nous remarquons aujourd’hui que la ligne du gouvernement s’est une nouvelle fois durcie car il n’est plus seulement question de lutter contre une potentielle immigration économique mais également se protéger contre un mouvement de population lié à la prise de contrôle d’un pays entier par une organisation qualifiée de terroriste par l’Union européenne. Cette fermeté, recherchée par ce gouvernement comme ses prédécesseurs, est justifiée selon eux comme étant la contrepartie nécessaire d’un accueil décent au titre notamment de l’asile ou pour une intégration réussie. Cependant nous ne pouvons que constater que cette dérive vers plus de rigidité et de repli sur soi est un chemin glissant qui mène aujourd’hui à refuser un accueil inconditionnel aux personnes demandant l’asile. Cet amalgame entre asile et immigration irrégulière que nous voyons apparaitre hors des sphères de l’extrême droite, tout comme l’ont été les amalgames entre crise économique et immigration ou encore entre terrorisme et immigration, est une nouvelle et terrible étape de franchie dans le reniement du droit international et de nos valeurs communes qui sont censées fonder la société internationale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

La fermeté quoi qu’il en coûte, y compris au prix de violation des droits humains.

 

Le refus d’un accueil inconditionnel aux personnes fuyant les persécutions qu’elles peuvent légitimement craindre de la part des Talibans n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres de cette politique basée sur la fermeté laissant de côté nos obligations morales mais également juridiques. Si la lutte contre le terrorisme est un des tombeaux de nos valeurs[4] il apparaît que notre humanité soit également ébranlée lorsqu’il est question de l’enfermement d’enfants dans les centres de rétention français.

Le 22 juillet 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné, pour la huitième fois la France pour l’enfermement de famille avec enfants dans ses centres de rétention administrative. La Cour, par ces condamnations, vient une nouvelle fois rappeler que l’enfermement d’enfant derrière les barbelés de ces centres constitue un traitement inhumain et dégradant. Outre ces huit condamnations, la Cour est également intervenue à de nombreuses reprises auprès du gouvernement français afin d’enjoindre aux autorités de libérer la famille retenue au plus vite car son enfermement violait la Convention. Malgré ces nombreuses condamnations et l’opprobre jeté sur le pays dits des droits humains, l’Etat français s’acharne à placer en rétention des enfants dans les CRA français et l’administration réfute sa culpabilité.[5] Tout comme nous l’avons vu supra sur d’autres sujets, la question de la crédibilité de la politique migratoire est également invoquée au sujet de l’enfermement des enfants. Pour exemple, lors des débats sur la loi du 10 septembre 2018, la ministre déléguée à l’intérieur, Jacqueline Gourault, affirmait la nécessité d’enfermer des enfants derrières les grilles des centres de rétention : « La rétention des mineurs accompagnant leurs parents, pardon des enfants mineurs – un certain nombre d’entre vous tiennent à ce mot, ce que je comprends –, doit rester une possibilité afin de garantir la crédibilité de notre politique d’éloignement ». La question de la crédibilité de la politique migratoire est donc plus importante, aux yeux du gouvernement, que l’intérêt supérieur de l’enfant et plus généralement plus importante que l’ensemble des droits humains.

Cependant, la politique migratoire n’a besoin d’être crédible que parce qu’elle est utilisée à des fins électorales. Nous avons vu la question de l’immigration, et surtout la question de la lutte contre l’immigration illégale, devenir une priorité et s’inviter à chaque élection, à chaque débat. Les inepties s’enchainent ; nous parlions hier de l’étranger qui vole le travail des français, remplacé par l’étranger qui menace notre société. Avec un amalgame complet entre lutte contre l’immigration irrégulière et lutte contre le terrorisme ou la délinquance les politiques biaisent le débat et permettent ainsi de justifier leurs violations des droits les plus fondamentaux.[6] Par la suite, et cela est davantage marqué ces derniers jours, nous avons assisté à un basculement ; ce n’est plus simplement une politique de lutte contre l’immigration irrégulière qui est menée mais une lutte contre l’immigration tout simplement. Rappelons-le cependant ; une personne cherchant refuge n’est pas en situation irrégulière et son droit de franchir les frontières afin d’être protégée doit être garanti.

Alors qu’en novembre 2020, Emmanuel Macron critiquait le relativisme contemporain des droits humains et déplorait que « des éléments comme la dignité de la personne humaine, qui étaient des intangibles, et dans lesquels au fond s’inscrivaient tous les peuples des Nations Unies, tous les pays représentés, sont maintenant mis en cause, relativisés »[7], il dénigre aujourd’hui ces mêmes droits. La défense des droits humains, que nous pouvions penser être assurée au pays des Lumières, est un véritable enjeu pour notre société et cette bataille idéologique ne pourra se gagner que par une prise de conscience globale que le relativisme des droits humains est un danger pour notre démocratie.

 

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[1] « Immigration : « humanité » et « fermeté », deux mots repris à l’unisson par la majorité », France Info, le 15 janvier 2018, https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-immigration-humanite-mais-aussi-fermete-la-majorite-a-l-unisson_2562917.html (consulté le 26 juillet 2021)

[2] Des « bons » et des « mauvais » immigrés ?, Le Monde, 16 septembre 2015, https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/16/des-bons-et-des-mauvais-immigres_4759270_3232.html (consulté le 22 août 2021)

[3] « Loi Immigration : « « Pas question de changer d’orientation », selon Gérard Collomb », Le Parisien, 14 janvier 2018, https://www.leparisien.fr/politique/gerard-collomb-c-est-un-projet-de-loi-totalement-equilibre-13-01-2018-7499424.php (consulté le 26 juillet 2021)

[4] « L’asile, victime collatérale des enjeux sécuritaires ? », Institut de relations internationales et stratégiques, 18 juin 2021  https://www.iris-france.org/158490-lasile-victime-collaterale-des-enjeux-securitaires/

[5] Voir la réponse des services de la préfecture de Loir-et-Cher, mise en cause dans la décision M.D et A.D c. France. « La préfecture n’est pas responsable des conditions d’accueil dans les CRA », La Nouvelle République, 27 juillet 2021, https://www.lanouvellerepublique.fr/blois/la-prefecture-n-est-pas-responsable-des-conditions-d-accueil-dans-les-cra (consulté le 27 juillet 2021)

[6] « Inquiétudes sur le sort d’un Tchétchène expulsé de France », RFI, 12 avril 2021, https://www.rfi.fr/fr/europe/20210412-inqui%C3%A9tudes-sur-le-sort-d-un-tch%C3%A9tch%C3%A8ne-expuls%C3%A9-de-france (consulté le 27 juillet 2021)

[7] « Emmanuel Macron critique le « relativisme contemporain » sur les Droits de l’Homme à l’ONU », Ouest France, 16 novembre 2020, https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/pour-emmanuel-macron-l-europe-politique-permettra-de-faire-face-a-la-chine-et-aux-etats-unis-7053012 (consulté le 27 juillet 2021)

 

  • Paul CHIRON, juriste spécialisé en droit des étrangers

Paul CHIRON

 

  • Illustration : Le radeau de la Méduse (1818 – 1819), Géricault
Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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