Une nouvelle révision constitutionnelle est annoncée, dont l’exécutif présentera les grandes lignes cette semaine. Cette révision atteste de la capacité d’adaptation d’un régime, la Ve République, dont la pérennité est exceptionnelle dans notre histoire. Mais à quel prix ? Le « nouveau monde », censé être incarné par le président Macron, s’inscrit dans la continuité de la longue dérive présidentialiste du régime.
À la veille du 60e anniversaire de la Ve République, le président de la République et le Premier ministre s’apprêtent à réviser la Constitution. Les changements prévus (réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives et limitation à trois mandats successifs pour les députés, les sénateurs et les présidents d’un exécutif local) ne sont pas de nature à bouleverser les équilibres fondamentaux du régime.
Du reste, depuis que l’élection à la présidence de la République existe, on assiste moins à un renouveau de la pratique des institutions qu’à la poursuite d’une dérive hyper-présidentialiste de la Ve République : concentration et centralisation du pouvoir à l’Élysée, neutralisation de la fonction primo-ministérielle, dévalorisation du Parlement avec un fait et une discipline majoritaires poussés à l’extrême, etc.
La volonté de révision la Constitution est-elle un signe de bonne santé ou de fébrilité pour le régime ? Porteuse d’un Contrat social, la Constitution de 1958 doit sa pérennité à une capacité d’adaptation, non synonyme de dénaturation. Il y a en effet différentes manières d’adapter et de changer la Constitution… sans changer de Constitution. Si le texte constitutionnel demeure en vigueur, c’est en partie grâce à une succession d’ajustements, effectués à l’initiative du pouvoir constituant dérivé.
UNE SOLIDITÉ INSTITUTIONNELLE
Taillée à la mesure du général de Gaulle, la Constitution de 1958 lui a survécu. En fêtant son cinquantenaire, elle a ainsi conforté son titre honorifique de « vice-doyenne » des constitutions françaises. Une longévité qui témoigne de la capacité d’adaptation de la Loi fondamentale, de ses organes constitutionnels et de ses acteurs politiques. En sus de sa permanence, la Constitution de 1958 a donné à la France un régime politique et institutionnel stable, structuré et relativement solide, qui a su surmonter toutes les difficultés auxquelles il a été confronté, dont la décolonisation algérienne (1958-1962), la démission du « Père-fondateur » ou « figure tutélaire » (1969), le décès d’un président de la République en exercice (1974), l’alternance politique (1981), des périodes de « cohabitation » officielles (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) ou officieuses (1974-1976, 1988-1991).
De tels évènements politiques auraient pu emporter nombre des régimes qui ont jalonné notre histoire. La stabilité du régime actuel se conjugue ici à la souplesse ou la plasticité d’une Constitution enrichie depuis 1958 d’une Charte de l’environnement, de dispositions constitutives d’une « Constitution locale » et d’une « Constitution européenne ». La succession des révisions constitutionnelles, des évènements et des hommes n’est pas venue à bout de la Ve République.
Cette capacité d’adaptation contraste avec l’immobilisme dont avaient fait preuve les Constitutions des IIIe et IVe Républiques, et apparaît comme un nécessaire élément de souplesse et d’évolution du régime.
Pourtant, celle-ci a changé sous l’effet notamment de l’action du pouvoir constituant dérivé. Les révisions constitutionnelles sont une forme d’adaptation qui tend à assurer la pérennité de la Constitution sans pour autant bouleverser « l’esprit, les institutions, la pratique » de la Ve République.
De fait, la Constitution de 1958 a fait l’objet d’un nombre important et croissant de révisions : vingt-quatre depuis 1958, dont dix-sept depuis 1992 ! Le nombre et l’accélération récente de la fréquence des révisions a fait craindre à certains une banalisation de la procédure et un affaiblissement du texte fondamental. À l’inverse, cette capacité d’adaptation contraste avec l’immobilisme dont avaient fait preuve les Constitutions des IIIe et IVe Républiques et apparaît comme un nécessaire élément de souplesse et d’évolution du régime.
Le pouvoir de révision constitutionnelle ou la « mutabilité » de l’édifice constitutionnel ne saurait donc être contesté au nom d’un objectif de stabilité. L’œuvre du constituant originaire peut faire l’objet d’une adaptation : la possibilité même de modifier, compléter ou supprimer des dispositions de la Constitution est un attribut du souverain. Une Constitution « qui vieillit et qui est trop rigide pour être révisée aisément constitue potentiellement un danger pour la démocratie car elle appelle des changements brutaux », comme le rappelait le professeur Louis Favoreu.
LE DÉFICIT DÉMOCRATIQUE PERDURE
Les conditions de forme et de fond de la procédure de révision de la Constitution de 1958 tendent à réaliser un équilibre entre la protection du texte constitutionnel et sa nécessaire adaptation. Le « volontarisme constitutionnel » du président de la République est à l’origine de la plupart des révisions sous la Ve République (l’instauration du quinquennat présidentiel en 2000 fait figure d’exception, le chef de l’État s’étant rallié à l’initiateur : le Premier ministre de « cohabitation ».) La fonction de gardien de la Constitution du président de la République n’est d’ailleurs pas contradictoire avec ses initiatives : protéger la Constitution, c’est également l’adapter.
En pratique, pourtant, cet équilibre apparaît aujourd’hui fragilisé par le phénomène d’inflation des révisions constitutionnelles précédemment décrit. De manière plus générale, l’objet et la portée des révisions intervenues sous la Ve République vont très au-delà de l’amélioration de simples mécanismes constitutionnels. Même si elles sont d’importance inégale, ces révisions ont substantiellement changé le visage de la Constitution de 1958. À travers ces révisions qui ont jalonné l’histoire de la Ve République, le pouvoir constituant dérivé tend à accompagner l’évolution du Contrat social et donc à assurer la pérennité du régime.
Quoi qu’il en soit, on peut douter de l’efficacité de révisions constitutionnelles à répétition comme mode d’adaptation de la Constitution. En dépit du nombre et de la fréquence des réformes ces dernières années, la Constitution de 1958 peine à répondre aux critiques récurrentes relatives au déséquilibre structurel des pouvoirs et au déficit démocratique du régime. Les appels – de la part d’acteurs politiques et de certaines figures doctrinales – à l’avènement d’une VIe République ou, au moins, d’une Ve République bis demeurent. Aucune des deux options n’est à l’ordre du jour.
© Photo : site du Sénat
Nabli Béligh
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