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La République une et indivisible : une fiction juridique ?

Notre Constitution énonce le principe républicain d’indifférence aux origines. La République française ne connaît ni minorités, ni groupes défavorisés ; elle ne connaît que des citoyens, égaux dans leur relation directe avec l’État. Pourtant, cette unité n’exclut pas toute reconnaissance de particularisme.

Notre contrat social comme notre législation nationale ne reconnaissent pas les communautés ethniques, culturelles ou religieuses. L’article 1er de la Constitution de 1958 pose le principe de l’indivisibilité de la République. Celui-ci interdit de reconnaître une quelconque minorité ou catégorie de Français, bref de différencier les citoyens. Autrement dit, l’indivisibilité de la République est prolongée par l’unité de la nation souveraine (article 72-3 de la Constitution), qui semble interdire toute différenciation : la France ne connaît pas d’autres peuples que le peuple français, exempt de minorités et uniformément soumis à des principes qui constituent son identité.

L’identification de groupes au sein du peuple français reviendrait à nier l’égalité des citoyens. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel se refuse à reconnaître l’existence de groupes minoritaires et donc « à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance » (Décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999).

LA RECONNAISSANCE DE « POPULATIONS D’OUTRE-MER »

Il n’empêche, le constituant a estimé de manière pragmatique que la République devait s’accommoder de la satisfaction d’intérêts locaux ou de considérations historiques ou géographiques qui conduisent à la prise en compte de particularismes qui sont tous, plus ou moins, en lien avec l’existence d’une ou plusieurs collectivités territoriales, qui représentent la diversité au sein de la République. Si l’indivisibilité du pouvoir signifie la soumission de tous les citoyens aux mêmes lois, celle-ci n’exclut ni une diversité législative normative, ni la reconnaissance de populations au sein du peuple français.

Outre le cas du droit local d’Alsace-Moselle (qui date de la loi du 1er juin 1924), la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, complétée par celle du 23 juillet 2008, a reconnu à toutes les collectivités territoriales, en métropole et outre-mer, le droit « de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives et réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences. »

De manière plus significative encore, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie a introduit, à l’article 77 de la Constitution, une nouvelle catégorie d’actes pris par l’assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie : les « lois du pays ». Celles-ci constituent une atteinte à l’unité du pouvoir normatif, car il y a bien un pouvoir législatif propre.

Il est vrai que la Nouvelle-Calédonie connaît un régime constitutionnel provisoire, destiné à préparer son accession à la pleine souveraineté si les électeurs de cette collectivité en décident ainsi lors de référendums qui doivent être organisés entre 2014 et 2019. Enfin, au sein de la communauté nationale, notre Loi fondamentale reconnaît depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 l’existence de « populations d’outre-mer » au sein du peuple français.

Si le texte constitutionnel dans sa version initiale se référait à la notion de « peuples d’outre-mer », la distinction entre « peuple » et « populations » correspond à la volonté de conforter le caractère unitaire du peuple souverain (déjà affirmée dans la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel). C’est dans un esprit pragmatique et de compromis que le pouvoir constituant a voulu réaffirmer l’unité du « peuple français » tout en reconnaissant un certain particularisme/pluralisme historique, géographique et culturel des populations situées outre-mer. Cette limitation aux seules « populations d’outre-mer » a, en même temps qu’elle reconnaissait ces dernières, fermé la porte à la reconnaissance de populations situées sur le territoire métropolitain.

LES DIFFÉRENCIATIONS AU SEIN DE LA POPULATION FRANÇAISE

Les termes de « communauté » et de « communautarisme » sont allégrement utilisés alors qu’ils ne vont pas de soi ; ils sont souvent confondus, ils sont pourtant distincts. Il s’agit de notions équivoques qui engendrent une légitime méfiance chez les chercheurs en sciences sociales. L’individualisation de la société s’accompagne de la manifestation publique d’appartenance à un groupe social, à l’attachement à des cultures spécifiques, à des identités singulières qui aboutissent à une demande de reconnaissance de droits particuliers.

Légitimée par la doctrine multiculturaliste, cette tendance signifie également que les particularismes acceptent de moins en moins d’être relégués dans la sphère privée et alimentent une cristallisation communautaire qui s’exprime dans un espace public, y compris en appelant les pouvoirs publics à mener une politique de lutte contre les discriminations.

La réalité complexe de notre société comme de notre État de droit échappe aux caricatures du discours républicaniste ou multiculturaliste. Notre société multiculturelle de facto s’inscrit dans un cadre commun qui doit permettre de jure de mieux vivre ensemble.

Certes, le droit à la non-discrimination s’est effectivement développé au début des années 2000, mais on ne peut parler ni de « droit à la différence », ni de politique de discrimination positive. Il existe néanmoins des dispositifs de lutte contre les discriminations consacrant des différenciations assimilables à de réelles discriminations positives, selon la juriste Anne Levade. Il faut ainsi nuancer l’opposition entre le principe d’égalité et la logique de la « discrimination positive » qui, pour une autre juriste, Gwenaëlle Calves, tente de promouvoir une égalité de fait en accordant un traitement préférentiel aux membres d’une minorité ou d’un groupe défavorisé.

L’égalité républicaine ne s’intéresse plus seulement à l’être humain abstrait et universel, mais aussi à l’être humain concret, pris dans sa condition physique, sociale et économique. La différenciation est un élément constitutif du principe d’égalité entendu en droit français. Ainsi, selon le Vice-président Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, « si le principe d’égalité impose ainsi de traiter de la même manière des personnes placées dans une même situation, il n’exclut pas des différences de traitement, à condition qu’elles soient justifiées par une différence de situation ou par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi qui les établit – elles doivent être objectivement fondées -, que ces différences de traitement soient proportionnées à la cause qui les justifie et que, bien entendu, elles soient étrangères à toute discrimination », comme il l’a expliqué lors d’un Colloque organisé par le Défenseur des droits, le 5 octobre 2015.

Sur cette base, le législateur peut établir des différenciations qui, justifiées par des situations particulières ou la satisfaction de l’intérêt général, ne constitueront pas une mise en cause du principe d’égalité, mais au contraire sa réalisation effective.

La réalité complexe de l’état de notre société comme de notre État de droit échappe largement aux caricatures du discours républicaniste ou multiculturaliste. Notre société multiculturelle de facto s’inscrit dans un cadre commun qui doit permettre de jure de mieux vivre ensemble.

Il n’empêche, les fondements de l’idéal républicain du citoyen universel vivant dans une société d’égaux sont sapés par un raidissement identitaire, symptôme d’une crise du lien social causée par l’affaiblissement des institutions de socialisation (famille, école, partis, syndicats, etc.), la persistance d’un chômage de masse, la précarisation et l’appauvrissement de la jeunesse, le déclassement de la classe moyenne, le sentiment altéré de solidarité de classe au sein des couches populaires. Les traditionnelles identités et solidarités de classe – encore partiellement pertinentes – ont été érodées, on assiste ainsi à un glissement de la lecture sociale vers une représentation identitaire de la société…

© Photo : Public Domain

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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