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IVG en Argentine : les femmes ouvrent une brèche

Elles seront probablement des milliers aujourd’hui, aux quatre coins de l’Argentine, à traduire en actes cette journée du 8 mars, au travers d’une mobilisation nationale pour le droit à l’avortement. Une proposition de loi visant à le dépénaliser a été présentée mardi devant la Chambre des député.e.s. Elle devrait être débattue à partir du 20 mars en commission, et dans un peu plus de deux mois en séance publique.

Après avoir crevé l’écran dans 120 battements par minutes, Nahuel Pérez Biscayart a irradié la cérémonie des César vendredi dernier. Tant par une aura somme toute assez rare, même au cinéma, que par ses mots, simples et puissants. En dédiant sa récompense de meilleur espoir masculin à Act Up, dont le long métrage de Robin Campillo relate l’histoire, l’acteur argentin de 31 ans a choisi de rendre hommage « à tous ceux et toutes celles qui mènent des combats aujourd’hui, qui ne reçoivent pas de prix, qui ne sont pas reconnu.e.s pour leurs luttes », avant d’ajouter : « en Argentine en ce moment, les femmes se battent pour que l’avortement soit enfin légal. »

Un combat qui dans ce pays pourtant réputé « progressiste », revêt effectivement le caractère radical qu’avait celui d’Act Up dans les années 1980-90, tant l’IVG ne va pas de soi, y compris pour une large part de l’opinion, encore très poreuse au catholicisme.

UN NOUVEAU PARADIGME FÉMINISTE

Récemment pourtant, les luttes féministes semblent avoir fini par infuser abondamment dans la société, avec des manifestations de grande ampleur qui ont eu lieu tout au long des dernières semaines. Il faut dire que depuis quelque temps, les Argentines ont pris l’habitude de se retrouver pour des marches multitudinaires, au travers du mouvement « Ni una menos », né en 2015 contre les féminicides, puis avec l’onde de choc mondiale suscitée par #Metoo. C’est ainsi que le 19 février, elles étaient plus de 5 000 à Buenos Aires, massées devant le Parlement et arborant les pañuelos verdes (foulards verts), symbole de leur lutte pour un droit à l’avortement libre et gratuit.

Et ce n’est pas chose aisée en Amérique latine. À ce jour, les seuls pays qui l’autorisent pleinement sont Cuba, Porto Rico, le Guyana, le district fédéral de Mexico et l’Uruguay. A fortiori, il n’est à première vue pas étonnant que le pays d’origine de l’actuel pape rechigne à rejoindre ce cercle restreint. Et cependant, il y a bien un paradoxe, l’Argentine étant aussi l’un des pays du monde les plus en pointe quant à la législation en faveur des droits des personnes LGBT. Le mariage a ainsi été accordé aux couples homosexuels dès 2010, quand depuis 2012, il est possible de choisir son identité de genre, sans l’accord préalable d’un médecin ou d’un juge, ni attestation de prise d’hormones ou d’intervention médicale.

Chaque année en Argentine, 500 000 avortements clandestins seraient pratiqués, dont plus d’une centaine se solderaient par un décès.

Aujourd’hui, l’Argentine, comme son voisin brésilien, interdit l’avortement excepté sous trois conditions : le viol, une malformation fœtale ou un risque sanitaire grave et avéré pour la femme. Le 1er mars, 35 député.e.s ont à leur tour porté le foulard vert en séance au parlement, brandissant des pancartes réclamant l’« avortement légal maintenant, pour ne pas mourir. »

Ces parlementaires de gauche, communistes, socialistes, ou encore issu.e.s du « Frente para la victoria », formation néo-péroniste de l’ex-présidente Cristina Kirchner, revendiquent l’accès à l’avortement libre et gratuit. Un simple horizon pour le moment, le premier pas étant de dépénaliser l’IVG, pour les femmes qui y ont recours et les médecins qui la pratiquent.

En 2016, la jeune Belén, originaire de la province de Tucumán, dans le nord du pays, avait été condamnée à huit ans de prison pour un avortement supposé, et passé presque trois années de sa vie derrière les barreaux. Selon le Code pénal actuel, la seule alternative à la peine carcérale est d’être reconnue « idiote », autrement dit déficiente mentale, par un expert médical.

DES DIRIGEANTS À LA REMORQUE DE LA SOCIÉTÉ

Le président actuel dit de centre-droit, Mauricio Macri, qui s’est pourtant revendiqué « pro-vie » à plusieurs reprises, semble avoir choisi de nuancer sa position face à l’adhésion grandissante de l’opinion au principe de la dépénalisation. Il a ainsi déclaré qu’il ne ferait preuve d’aucune sorte d’entrave vis-à-vis de la procédure législative, et qu’il laisserait les député.e.s de son camp libres de leur vote.

Rappelons que cette avancée fondamentale a constitué une occasion manquée pour Cristina Kirchner, qui en plus d’être une femme, n’a eu de cesse de corréler son engagement politique au combat pour l’émancipation et l’égalité, vis-à-vis des plus pauvres mais aussi de la communauté LGBT. Son élection en 2007 avait été source d’espoir pour les féministes, jusqu’à ce que la cheffe d’État se prononce officiellement et résolument contre le principe de l’IVG. Et sa position ne variera pas jusqu’au terme de son double-mandat à la fin 2015.

UNE URGENCE SOCIALE

Pour autant, dans le camp péroniste et depuis plusieurs années, de nombreuses voix se font entendre en faveur de ce droit. En Argentine, comme dans la plupart des pays le prohibant, l’accès à l’IVG revêt une dimension profondément classiste. Chaque année 500 000 avortements clandestins seraient pratiqués, dont plus d’une centaine se solderaient par un décès.

Si les femmes qui ont les moyens financiers avortent illégalement dans des cliniques confidentielles qui assurent des conditions sanitaires normales, ou traversent le Rio de la Plata pour aller en Uruguay, les autres doivent subir le calvaire des pratiques « maison » en la matière. Certaines, généralement dans les grandes villes, optent encore pour l’avortement médicamenteux, mais avec de très grandes difficultés pour accéder à une prescription en contournant la loi, leur faisant bien souvent dépasser les délais impartis.

C’est le septième texte promouvant une ouverture du droit à l’IVG qui sera soumis au vote du Congrès, dans un pays où est célébrée chaque année la journée « de l’enfant qui n’est pas né. » Même si, pour la première fois, l’espoir est permis, la bataille sera rude, les parlementaires de la majorité conservatrice s’étant prononcés presque unanimement contre la proposition de loi.

Par ailleurs, si elle était adoptée, elle ne constituerait qu’une avancée modeste, la légalisation pleine ainsi que le remboursement ayant peu de chances d’être portés par la présidence Macri. Cependant, il apparaît aujourd’hui difficile d’arrêter le mouvement social qui s’est levé, et qui ne semble pas vouloir se résigner de sitôt.

© Photos : Leandro Teysseire et laretaguardia.com.ar

Soizic Bonvarlet

Soizic Bonvarlet

est journaliste bi-media pour LCP, Slate et Politis(International/Parlement/ Culture), et membre du comité de rédaction de la revue Charles.
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