En cette veille de la Journée internationale des femmes, Chronik.fr a interviewé l’ancienne ministre et députée communiste Marie-George Buffet, qui défend (avec sa collègue Huguette Bello) une proposition de loi visant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes.
Chronik.fr : Votre proposition de loi part d’un constat : les inégalités entre les femmes et les hommes dans le monde du travail sont toujours aussi prégnantes. Quels sont les données objectives, statistiques, sur lesquelles vous vous êtes appuyées ?
M.-G. B. : Notre proposition de loi sera étudiée le 8 mars, Journée internationale des femmes, et c’est l’occasion de prendre à bras le corps cette injustice majeure de notre société. Les chiffres sont connus de toutes et tous. Tous contrats confondus, une femme gagne en moyenne 25,7 % de moins qu’un homme. Si l’on isole les emplois à temps plein, cet écart est de 16,3 %. C’est énorme et totalement inacceptable.
J’avais mené un rapport l’année dernière sur le sujet et j’avais eu l’occasion de faire beaucoup d’auditions, de même qu’Huguette Bello, ma collègue du groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine), qui a rédigé le rapport de notre proposition de loi cette année.
Le Forum économique mondial classe, dans son dernier rapport, la France au 129e rang sur 144 pays en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes. C’est proprement scandaleux.
Les sources précises sur lesquelles nous nous sommes appuyées sont des plus sérieuses et ne souffrent d’aucune contestation : la DARES, les chiffres de l’INSEE, notamment ceux issus du tableau de l’économie française dans son édition 2017, et l’enquête emploi de 2016. Ces statistiques officielles montrant clairement la prédominance du temps partiel chez les femmes, 78 % selon les derniers chiffres, et le fait que plus d’un tiers des femmes le subissent.
Il y a les études internationales également, qui mettent en lumière le retard considérable que l’on a en France sur ce sujet pourtant majeur. Le Forum économique mondial classe, dans son dernier rapport, la France au 129e rang sur 144 pays en matière d’égalité salariale. C’est proprement scandaleux.
Enfin, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a également beaucoup de chiffres détaillés et des donnés très intéressantes, notamment sur l’impact négatif des dernières réformes du droit du travail, ou plutôt la destruction du code du travail, dans la lutte contre les inégalités salariales.
Chronik.fr : Quels sont les éléments qui expliquent la persistance des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ?
M.-G. B. : Il y a deux grandes catégories d’explications. Premièrement, la discrimination que je qualifierais de culturelle. Il y a toujours la perception de la femme comme moins compétente, moins à même d’occuper un poste à responsabilité. Cela est dû au patriarcat toujours dominant dans notre société même si des milliers de femmes et d’hommes luttent quotidiennement pour mettre fin à ces représentations mentales discriminatoires et qui pourrissent la vie des femmes depuis des dizaines d’années.
Cette discrimination appelle des mesures fortes, contraignantes, mais surtout un travail culturel et éducatif intense, dès le plus jeune âge. Cette discrimination pure explique pour un tiers le chiffre de 25,7 % d’écart salarial. En effet, à contrat, diplômes, expériences et responsabilités égales, une femme gagne en moyenne 10 % de moins qu’un homme. Du seul fait d’être une femme, on perd déjà 10 % de rémunération.
Le second facteur, c’est la prévalence de la précarité professionnelle chez les femmes et c’est sur cela que porte notre proposition de loi, en s’attaquant frontalement au recours abusif au temps partiel. Je rappelle les chiffres : 78 % des contrats à temps partiel sont occupés par des femmes et plus d’un tiers d’entre-elles le subissent, c’est-à-dire qu’elles sont en situation de sous-emploi. 31 % des femmes salariées le sont à temps partiel.
Le temps partiel, quand il n’est pas un choix, est un poids terrible. Il empêche d’avoir une vie sereine, conduit à des rémunérations très basses et entraîne une précarité matérielle et morale. Cela concerne pratiquement 10 % des femmes de notre pays.
Chronik.fr : Les dernières réformes du code du travail sont-elles, selon vous, des sources d’aggravation de la précarité professionnelle des femmes ?
M.-G. B. : Ces réformes, en particulier la loi travail de 2016 et les ordonnances travail de l’année dernière, aggravent la précarité professionnelle des salarié.e.s les plus fragiles en général et donc des femmes en particulier, puisqu’elles représentent en grande majorité les personnes en situation de précarité professionnelle.
L’exemple le plus flagrant est la durée minimum de travail qui est de 24 heures hebdomadaires en théorie, afin de garantir à chacune et chacun une rémunération décente. Seulement, les dérogations successives ont complètement vidé de sa substance cette durée minimale, si bien qu’elle ne représente plus rien.
Certaines branches prévoient la possibilité de faire des contrats de travail de deux ou trois heures hebdomadaires ! Ces contrats sont totalement ubuesques et injustifiables, les salarié.e.s ne sont pas des machines que l’on utilise à son gré quelques heures par ci, par là. Cette durée minimale fait selon moi partie de l’ordre public social et doit faire l’objet de toutes les garanties possibles.
Nous proposons un système incitatif pour les entreprises : en cas de recours abusif au temps partiel, si une entreprise en fait son mode de gestion principal, nous diminuons ses allègements de charges sociales sur les bas salaires. De plus, nous voulons mieux rémunérer le travail en donnant du pouvoir d’achat aux personnes travaillant à temps partiel.
Sur les inégalités salariales, précisément, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a donné son avis sur les ordonnances travail en septembre dernier. Son constat est sans appel, les dernières réformes du code du travail ont fragilisé les dispositifs législatifs promouvant l’égalité salariale.
La loi El Khomri et les ordonnances travail fragilisent les négociations en la matière, en espaçant dans le temps les négociations sur les inégalités salariales, en n’obligeant pas la tenue de négociations obligatoires spécifiques sur les inégalités salariales et surtout, en désencadrant le temps partiel et en encourageant le recours aux emplois précaires. Ces différents pilonnages du code du travail ne font que fragiliser les femmes, beaucoup plus soumises à la précarité professionnelle. Voilà les conclusions du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, voilà ce que nous combattons.
Chronik.fr : Votre proposition de loi entend encadrer le temps partiel imposé, en tant que source d’inégalités salariales et de précarité professionnelle pour les femmes. En quoi consiste le dispositif législatif que vous préconisez ?
Nous partons d’un constat très simple : ces dernières années, nous avons eu pas moins de 8 lois sur l’égalité salariale, sans effets pratiquement. Il faut donc arrêter les déclarations de principe et s’attaquer réellement aux facteurs structurels expliquant ces inégalités.
L’un des leviers principaux est effectivement de limiter le recours au temps partiel. Pour ce faire, nous proposons un système incitatif pour les entreprises : en cas de recours abusif au temps partiel, si une entreprise en fait son mode de gestion principal, nous diminuons ses allègements de charges sociales sur les bas salaires.
De plus, nous voulons mieux rémunérer le travail en donnant du pouvoir d’achat aux personnes travaillant à temps partiel. Pour ce faire, nous renforçons le seuil minimum de 24 heures hebdomadaires travaillées, en majorant à 25 % les heures travaillées en deçà des 24 heures hebdomadaires. Toujours afin de lutter contre la précarité, nous majorons également à 25 % les heures complémentaires, pour inciter les entreprises à embaucher à temps plein.
Enfin, nous proposons d’augmenter la prime de précarité pour les CDD à temps partiel à 20% de la rémunération totale brute.
Voilà nos deux axes : limiter le recours aux formes d’emplois précaires et mieux rémunérer les travailleuses et travailleurs à temps partiel. J’espère que la majorité fera preuve de bon sens et de volonté le 8 mars et votera en faveur de ces mesures de justice.
© Photo : « L’Humanite » / Maxppp
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