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Le plan de relance est-il « vert » ?

– Par Margot Holvoet, analyste des questions écologiques

 

La relance économique peut-elle se conjuguer avec la transition écologique ? Les réponses à ces urgences sont-elles compatibles ? Officiellement, le plan de relance gouvernemental relève le défi. En réalité, derrière les effets d’annonce, rien est acquis.

Près d’un tiers des 100 milliards du plan « France Relance », dont la traduction budgétaire est examinée à l’Assemblée nationale, est consacré à la transition écologique. Si cela constitue indéniablement un pas en avant, à y regarder de plus près, de nombreuses mesures semblent bénéficier d’effets d’annonce en décalage avec l’impact réel qu’elles peuvent avoir, voire avec leur désignation comme « vertes ». Plus encore, la cohérence globale du plan avec les ambitions affichées et les engagements de la France pose question.

Nombreux doutes

Répartis en priorité sur le développement de technologies vertes et la rénovation énergétique, les 30 milliards concernent divers aspects de la politique environnementale. « Un pas de géant » pour la transition, un plan « à la hauteur » des enjeux…, le gouvernement n’épargne pas ses effets de communication. Du reste, de nombreux acteurs ont accueilli favorablement, souvent avec surprise, des mesures longtemps demandées. Ainsi du secteur forestier, qui se réjouit des 200 millions proposés pour régénérer les forêts, ou du « fonds friches » doté de 300 millions d’euros qui avait déjà été proposé par les députés lors du PLF 2020.

Or, des doutes se font entendre en provenance de plusieurs secteurs bénéficiaires des aides prévues quant à la réalité des ambitions affichées. C’est le cas de l’un des plus gros morceaux de l’enveloppe « écologie », la rénovation énergétique, dont certains acteurs du secteur mettent en garde contre des effets d’annonce en décalage avec la réalité : le doublement annoncé du budget de la rénovation énergétique par le dispositif MaPrimeRénov’ masquerait en fait un statu quo[1], voire une réduction des montants relativement à 2019[2]. Le secteur du train, bénéficiaire de 4,7 milliard d’euros, pointe également des engagements déjà pris par l’État supérieurs à ce montant et recyclés dans le plan[3].

Certaines mesures présentées comme « vertes » n’en ont quant à elles que le nom. L’aéronautique et l’automobile récupèrent ainsi 2,6 milliards supplémentaires pour des investissements de R&D pas nécessairement compatibles avec la transition écologique, comme la modernisation des chaînes de production et la numérisation. Les investissements sur les réseaux d’eau ou de stations d’épuration figurent également dans l’enveloppe « écologie », tout comme le renforcement de barrages ou l’achat de pulvérisateurs de pesticides plus performants[4]. Si certains de ces investissements peuvent avoir un impact bénéfique sur l’environnement, c’est de manière limitée ou indirecte : leur classement dans cette catégorie interroge.

Incohérence globale ?

D’autre part, si le gouvernement revendique la « cohérence globale » du plan en faveur de la transition écologique, celle-ci ne saute pas aux yeux. La non-conditionnalité des aides aux entreprises a notamment été vivement critiquée par les associations. Demander aux entreprises de « jouer le jeu » de la transition écologique et sociale, sans obligation, interroge sur la sincérité des ambitions écologistes du gouvernement – a fortiori quand on se souvient des plans de relance et de sauvetage passés : les plans de 2008 et 2012, consistant en grandes parties d’aides aux entreprises, n’ont pas permis d’enrayer les délocalisations malgré l’affichage d’une conditionnalité à « la pérennisation des sites sur le territoire »[5]. Dès lors, ce chèque en blanc pourrait bien, lui aussi, servir la délocalisation des industries françaises et, par la même occasion, de nos émissions. Rappelons que seules les émissions font l’objet d’engagements de la part de la France en matière climatique ; si celles-ci ont connu une baisse jusqu’en 2014, notre empreinte carbone (constituée des émissions liées à nos importations) n’a, elle, jamais cessé de croître[6].

Ensuite, la part du lion est donnée aux investissements technologiques destinés à amoindrir l’impact carbone du transport : 7 milliards pour l’hydrogène, 2,6 milliards supplémentaires pour la R&D de l’aéronautique et de l’automobile. Il s’agit donc d’investissements censés répondre à l’objectif « écologie », sans vision globale ni mesures sur les impacts hors-carbone[7]. S’il est nécessaire de réduire, et significativement, l’impact du transport, c’est d’abord par une réflexion sur la réduction des kilomètres parcourus et des trajets effectués : compter sur un parc automobile hydrogène et électrique ou un potentiel avion pour 2035 (selon les ambitions d’Airbus) sans travailler à une baisse du trafic a tout d’une énième remise à plus tard des efforts de transition. Dans le même esprit, la taxation de l’aviation a essuyé un nouveau revers lors de l’examen du troisième projet de loi de finance rectificative et ne figure toujours pas dans le projet de loi de finance 2021[8].

La biodiversité insuffisamment prise en compte

Mais s’il est un aspect sur lequel le plan de relance piétine ses ambitions « vertes », c’est bien la biodiversité. Elle n’écope dans son ensemble que de moins d’un milliard d’euros, destiné, pêle-mêle, à la dépollution de sites, à des restaurations écologiques, ou à des fonds de soutien pour la sortie des pesticides à destination des agriculteurs. Or, plusieurs documents publiés ce mois-ci pointent des efforts insuffisants en matière de protection de la biodiversité en France, que le plan dans son ensemble semble devoir aggraver.

Alors que la biodiversité continue de s’effondrer en France et dans le monde (les populations d’oiseaux ont par exemple encore chuté d’un tiers dans les milieux agricoles en France sur les dix dernières années), les engagements de la France en la matière sont loin d’être tenus. Le 15 septembre, l’ONU notait dans ses « Perspectives mondiales de la diversité biologiques » que les efforts des pays signataires n’avaient pas été suffisants pour enrayer la perte de biodiversité, aucun des dix objectifs de la Convention sur la diversité biologique (dits « objectifs d’Aïchi ») n’ayant été atteints par les parties. Le rapport préconisait le renforcement des engagements et la prise en compte de la biodiversité dans « tous les secteurs économiques ». En effet, alors qu’on a longtemps considéré que seuls certains secteurs économiques étaient susceptibles de porter atteinte à la biodiversité, il convient désormais, tant l’urgence est prégnante, de prendre conscience que presque toute activité a des impacts potentiels sur la biodiversité et de lutter contre ceux-ci.

De manière générale, alors que la loi de 2016 « pour la reconquête de la biodiversité » devait entériner un cadre protecteur pour la biodiversité et, surtout, inverser la courbe de son évolution, elle ne fait ni l’un ni l’autre, selon le rapport d’évaluation de la loi paru ce 23 septembre[9]. En cause notamment, une application bien insuffisante des textes et une absence manifeste de contrôle, adossées à des enjeux de réduction des agents dans la fonction publique de protection de la biodiversité. Le Cese pointe ainsi un « décalage criant entre les missions et les effectifs » de l’institution chargée de la mise en œuvre des politiques publiques liées à la biodiversité, à savoir le nouvellement créé Office français de la biodiversité. Le PLF 2021 supprime pourtant encore 20 postes à l’établissement public. Dans la même veine, le gouvernement a annoncé en juillet la simplification des procédures d’attribution de 66 sites dits « clés en main », menaçant dès lors un peu plus les procédures environnementales[10] et semant le doute sur ses intentions réelles en matière de protection de la biodiversité.

Aussi, en l’absence d’un cadre législatif et réglementaire solide de protection de la biodiversité, la quasi-intégralité des mesures du plan de relance lui sont potentiellement néfastes. Soutenir la production quand celle-ci n’est pas effectivement tenue de préserver la biodiversité, c’est accroître les pressions sur cette dernière. Par exemple, les montants alloués à la régénération des forêts font en fait poindre le risque d’une « industrialisation » de la gestion des forêts sans prise en compte de la biodiversité : alors que 20 % des espèces animales présentes en France métropolitaine sont des espèces forestières, l’état de la biodiversité ne fait l’objet d’aucun indicateur de suivi. Ici aussi, et comme le préconise le rapport Cattelot sur les forêts, rendu lui aussi ce mois-ci, l’éco-conditionnalité des aides relèverait du bon sens écologique.

Ainsi, si en matière d’écologie la présidence Macron affiche de nobles ambitions, leur traduction dans des mesures efficaces est bien souvent sujette à caution, victimes, peut-être, du fameux « en-même-temps ». Il est possible que les envolées de plus en plus impressionnantes du chef de l’État, en France et sur la scène diplomatique (de « Make our planet great again » à son émotion au chevet du Mont Blanc) s’adressent davantage aux émotions qu’à la raison, et masquent mal la dégradation de la situation. Le plan de relance semble s’inscrire dans cette dynamique qui, si elle peut payer sur un plan électoral, ne permettra probablement pas de contribuer à limiter les impacts de la crise environnementale dont nous déplorons déjà, en France, les effets les plus tragiques.


[1] https://www.actu-environnement.com/ae/news/plan-re…

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/27/pl…

[3] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/14…

[4] https://www.actu-environnement.com/ae/news/biodive…

[5] Près de la moitié des 26 milliards d’euros déboursés par l’État en 2008 ont été dédiés à la trésorerie des entreprises, avec pour objectif la création de 400 000 emplois. En fait, plus de 35 000 emplois ont été délocalisés depuis lors, pour 5 000 emplois relocalisés. Le plan de sauvetage de l’industrie automobile en 2012, pourtant censé être conditionné à la relocalisation, a eu les mêmes suites[5].

[6] https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/d…

[7] La question se pose en des termes similaires pour les investissements relatifs à la 5G aujourd’hui : au-delà d’éventuelles questions de santé, c’est son impact environnemental qui est interrogé : https://www.lejdd.fr/Societe/5g-une-soixantaine-de…

[8] La même remarque peut être faite sur le traitement de la question du plastique dans le plan : des efforts sur le recyclage, aucun sur la réduction des usages et de la production.

[9] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis…

[10] https://notreaffaireatous.org/cp-66-sites-cles-en-…

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