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Élections communales au Cambodge : Khmers courage

Le Parti du Peuple cambodgien, vissé au pouvoir depuis 1994, a remporté de peu les élections communales du 4 juin dernier, devant le Parti du Salut National du Cambodge. La période pré-électorale a été marquée par une offensive inédite du pouvoir contre l’opposition sur les réseaux sociaux.

« Si l’opposition met en cause les résultats électoraux, nous lui casseront les dents »Cette réjouissante proposition du Général cambodgien Tea Banh, ministre de la Défense et député-Premier ministre Khmer rouge canal anti-Pol Pot, a donné le « la » à la courte campagne électorale des élections communales du 4 juin 2017, passées presqu’inaperçue en Europe. Le scrutin, remporté de justesse par le Parti du Peuple cambodgien (PPC, 50,7 %), mettait non seulement en jeu le Sénat où le PPC règne en maître mais testait la capacité de l’opposition nouvellement unie, le Parti du Salut National du Cambodge (PSNC), à rassembler un sourd mécontentement en vue des élections nationales de 2018.

Au pouvoir depuis 24 ans, le Premier ministre Hun Sen et le PPC se maintiennent grâce à une subtile stratégie mêlant l’arbitraire judiciaro-policier à l’enrichissement fulgurant d’une avide et arrogante bourgeoisie : la croissance annuelle de plus de 7 % depuis plusieurs décennies ne s’est faite qu’au bénéfice quasi-exclusif d’une petite portion de la population choyée par le PPC. Si le pouvoir en place a honoré son engagement à diviser la pauvreté par deux en 2009 (selon le Millenium Development Goal des Nations Unies), la majorité des 15 millions de Cambodgiens, dont près de 90 % de pauvres qui survivent dans les zones rurales, reste spectatrice de l’insolence richesse des oligarques urbains : 4,5 millions de Khmers restent près, trop près, du seuil de pauvreté. Ils sont le baobab qui cache la jungle du dénuement.

Les voix opposantes se sont donc tournées vers les réseaux sociaux, pour constater, à leur dépens, que le pouvoir avait déjà un coup d’avance.

Bien sûr, on peut se réjouir des énormes progrès économiques, largement propulsés par la reprise du tourisme de masse et de l’industrie textile, réalisés depuis les Accords de Paris de 1991. On se félicite, avec une pointe de soulagement coupable en Occident, de la fin des guerres civiles, des bombardements américains inouïs lors de la guerre du Vietnam, de l’indicible période des Khmers rouges de Pol Pot, des déplacements de population forcés et des boat people qu’alors nous accueillions à bras ouverts. Se réjouir mais… s’en contenter ?    

La campagne électorale officielle de 14 jours, encarcannée par des provisions légales restrictives pour les ONG critiques et les partis d’opposition, dont le PSNC enfin uni apparaît comme le plus « viable », a grossièrement illustré l’état d’un pays où les droits humains ont été achetés au profit… du profit. Près de 80 % des Cambodgiens, surtout ruraux, regardent les télévisions privées dont les propriétaires sont soit membres de la famille de Hun Sen, soit des cadres du PPC, soit les deux. Hun Mana, l’une des filles du Premier ministre, est membre du conseil d’administration d’au moins 14 médias, dont les très regardés Bayon TV et BTV news. Les lignes éditoriales s’attachent aux hard facts, prétendant soigneusement s’éloigner du commentaire politique : une manière médiatiquement correcte de ne couvrir que les évènements mis en scène par le régime, de l’ouverture de barrages aux commémorations diverses, le tout inondé par les jeux du cirque mais sans le pain.

LES FEMMES, LA CARTE ET LE TERRITOIRE

Les voix opposantes se sont donc tournées vers les réseaux sociaux, pour constater, à leur dépens, que le pouvoir avait déjà un coup d’avance : le Premier ministre communique directement sur sa page Facebook où il affiche, satisfait, presqu’un million de « likes » dont la plupart semblent avoir été achetés dans une « click farm » au Bangladesh…  Le ministre des Affaires étrangères règle ses comptes avec les chancelleries et les ONG critiques en réfutant leurs accusations sur Facebook et le ministre de l’Information poste, entre deux photos de vacances en famille, des menaces à peine voilées aux journalistes tentés de vérifier les informations officielles.

Cette « drôle de guerre » virtuelle, peut-être parce qu’elle engage l’opinion, est particulièrement féroce et dissymétrique. Officieusement, les leaders du PSNC s’alarment depuis le début 2017 de l’usage que fait le parti au pouvoir des fake news, alors qu’au même moment Hun Sen se solidarise bruyamment avec Donald Trump pour dénoncer « l’invention de fausses informations » par les médias critiques du CPP. Simultanément des bandes audio sont soigneusement distillées et fuitées sur les réseaux sociaux, façon telenovella, dévoilant les exploits sexuels de plusieurs membres du PSNC, dont les figures de proue Sam Rainsy et Kem Sokha, avec des veuves, des coiffeuses, des serveuses de restaurant. À ces scandales destinés à éloigner les potentiels votes ruraux conservateurs, s’ajoute la disqualification de Sam Rainsy, condamné à dix ans de prison en 2010 pour avoir posté une fausse carte des frontières avec le Vietnam… sur Internet. Gracié en 2013, il perd en 2017 légalement le droit de se présenter à un mandat électif et se retrouve sali et écarté de la compétition électorale. Comme le susurrait un membre éminent du CPP dans une réunion restreinte : « Auriez-vous admis en France que DSK se présente aux élections présidentielles ? »

Certes, la Constitution reconnaît le droit à la liberté d’expression, mais dans les limites des « bonnes mœurs et coutumes de la société », formule classique qui a l’avantage de restreindre toute critique des autorités dans les lois annexes, tout en permettant l’adhésion à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En l’absence d’une loi sur l’accès à l’information qui permettrait aux citoyens de se former une opinion avisée sur l’état réel du pays, le gouvernement cambodgien a mis en place une mécanique d’information bien huilée et calibrée pour lui servir à exister seul dans un espace politique de plus en plus étranglé.

L’Union européenne est aujourd’hui le principal partenaire commercial du Cambodge, et les fonds de coopération sont passés de 143 millions d’euros pour 2007-2013 à 410 millions d’euros pour la période 2014-2020. À la coopération bilatérale s’ajoutent les aides aux projets de coopérations régionaux à travers l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est et à la société civile cambodgienne. Les États-Unis restent bien plus alertes verbalement mais moins présents, Histoire oblige, financièrement. Ils sont d’autant plus absents depuis que le ministère des Affaires étrangères cambodgien a, fin aout 2017, brutalement mis fin aux activités du National Democratic Institute, ONG mondialement active proche du parti démocrate américain et soutenue par le Département d’État. En face, un régime qui considère avoir rempli sa feuille de route économique sans rien lâcher sur les restrictions des droits fondamentaux, et qui abuse d’une rhétorique électorale angoissante en menaçant les Cambodgiens et les instances internationales d’une « guerre civile »si par malheur le CPP devait céder le pouvoir.

Plus intrigant, la Chine : les voitures China Aid garées dans les parkings de tous les ministères clés, mais dont la discrétion des conseillers confine à l’invisibilité. On murmure que la Chine est devenue en 2016 le véritable premier partenaire commercial du Cambodge. En dépit ou grâce au soft power de l’UE, c’est peut-être le modèle chinois de développement et de « prospérité » pour quelques happy few qui est à l’œuvre au Cambodge de Hun Sen. Et ce sont peut-être les libertés individuelles des Cambodgiens qui s’y cassent, déjà, les dents.

© Photo : WikiCommons

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