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Venezuela, entre manichéisme médiatique et malaise de la gauche

La tension entre Nicolás Maduro et ses opposants a atteint des paroxysmes au cours des dernières semaines, jusqu’à la menace d’ingérence militaire des États-Unis contre le pouvoir de Caracas. Retour sur une crise qui en France a, non sans polémique, nourri les titres estivaux.

Les antagonismes qui déchirent aujourd’hui le Venezuela ont été abondamment traités par la presse hexagonale depuis le début de l’été. Montrés, relayés, commentés, mais rarement expliqués. On apprend que le pays a basculé dans la dictature, que des jeunes font face à des escadrons surarmés au péril de leur vie, on diffuse les vidéos de communication grotesques d’un Nicolás Maduro vacillant, on évoque encore les sanctions et les condamnations unanimes de la communauté internationale. Soit, les faits sont là. Mais pour ce qui est du canevas structurel qui a conduit le pays à cette situation chaotique, pas un mot, ou presque.

« Dictature » contre « opposition démocratique ». La grille de lecture médiatique s’est souvent limitée à cette dichotomie. On n’en saura pas plus sur les signes distinctifs de la gestion autoritaire du pouvoir version Maduro, ni sur la nature de l’opposition. On omet de situer les évènements dans le contexte d’une véritable lutte des classes à l’échelle du pays, résultat d’une polarisation qui s’est considérablement exacerbée sous la présidence d’Hugo Chávez. Il y aurait beaucoup à dire sur les dérives du pouvoir qui ont existé dès le premier mandat du leader bolivarien, et sur le culte de la personnalité qu’il a lui-même institué, mais le fait est qu’il a su restaurer le sentiment de dignité du peuple vénézuélien. Braquant du même coup une grande partie de la société civile bourgeoise qui s’est sentie spoliée par les politiques de redistribution. Analyse qui peut d’ailleurs s’appliquer à d’autres pays du continent. En Argentine et au Brésil par exemple, les partis néo-péroniste et pro-travailleurs au pouvoir n’ont cessé de subir les coups de semonce des classes dites supérieures, avant d’être congédiés par les urnes ou au terme de processus judiciaires, laissant place à des gouvernements anti-populistes de « centre-droit », pour ne pas dire ultra-libéraux.

LES AMBITIONS DE L’OPPOSITION

Au Venezuela, l’opposition, qui tient l’Assemblée nationale, n’a pas caché ses ambitions au cours des dernières années. En 2016, elle a notamment présenté une loi de privatisation et de mise en vente sur le marché immobilier des logements sociaux accordés dans le cadre des « Missions », à destination des 1,7 millions des familles les plus pauvres du pays. Ce n’est en outre peut-être pas un hasard si l’épicentre de la contestation actuelle se situe à Chacao, surnommé le « Manhattan de Caracas » pour son district financier, ses centres commerciaux rutilants, ses hôtels de luxe et ses toits-terrasses avec piscines, dans une ville rongée par la misère. Leopoldo López, porte-voix de l’opposition et actuellement assigné à résidence, en a d’ailleurs été l’édile. Pour le caractériser idéologiquement, Olivier Compagnon, directeur de l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine l’a défini comme « un néolibéral en économie et un catholique conservateur en matière sociétale », quand Olivier Dabène, président de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, évoque « un réactionnaire radical ».

Si l’opposition n’est pas uniquement l’apanage d’une extrême-droite soutenue par les puissances étrangères, comme le répète inlassablement Maduro, dans les faits, les forces en présence au sein de la Table de l’unité démocratique (MUD), qui compte 28 partis, vont d’une droite dure conservatrice à un centre libéral.

Il s’agit aussi de faire preuve de lucidité à l’endroit d’une opposition qui vise à la restauration d’un ordre social non dénué de violence.

Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi de l’état de l’opposition vénézuélienne. Au cours des dernières années, il a bel et bien existé un chavisme critique très présent dans les quartiers populaires. Le sociologue spécialiste des révolutions et du populisme en Amérique latine Federico Tarragoni, que nous avons interrogé sur le sujet, s’avère pourtant pessimiste sur l’avenir de ce mouvement. « Il est certain que ce chavisme critique, qui constituait l’âme réfléchie de la révolution bolivarienne en milieu populaire, condamne davantage les dérives du pouvoir qu’il en exalte la continuité par rapport à l’esprit des réformes d’Hugo Chávez », explique-t-il. « Mais face à une telle dérive autoritaire et fasciste du gouvernement (qu’il faut dissocier de l’usage de la violence répressive, dans un contexte où les mobilisations en font usage aussi), je crains que le potentiel critique de la participation populaire soit en passe de diminuer, au profit de l’adhésion aveugle et sectaire ». Du côté des figures chavistes entrées en dissidence, celle de la procureure générale déchue Luisa Ortega n’est pas des moindres, mais elle reste jusqu’à présent marginale.

UNE LUCIDITÉ NÉCESSAIRE

Vu d’Europe, un minimum d’honnêteté intellectuelle inciterait à reconnaître que nous ne tenons pas toutes les cartes en main pour analyser avec le recul nécessaire une situation d’une grande opacité, entre propagande officielle et de l’opposition. Les intérêts pétroliers, le rôle historiquement funeste des États-Unis dans les affaires du continent, en particulier dans les Caraïbes, et dont la présidence de Donald Trump ne pousse pas à l’optimisme pour l’avenir, est une donnée fondamentale quant à l’état actuel du pays. À cet égard, il est à noter que Julio Borges, président de l’Assemblée nationale et autre figure majeure de l’opposition, a rencontré le 5 mai dernier le vice-président américain Mike Pence, ainsi que son conseiller à la Sécurité. Moins de trois mois plus tard, Trump menace déjà, évoquant une « option militaire ».

Il a été dernièrement reproché au député de « La France insoumise » Adrien Quatennens de mettre en exergue le soutien des États-Unis à l’opposition vénézuélienne sans avoir condamné fermement les dérives du pouvoir. Sommé de justifier, au  micro de RTL, le 1er août dernier, un tweet commis en avril 2013 par Jean-Luc Mélenchon, saluant la victoire contestée de Maduro et évoquant le Venezuela d’alors comme « une source d’inspiration », le jeune parlementaire a commencé par resituer le contexte, à savoir « une situation économique beaucoup plus florissante qu’aujourd’hui, une politique redistributive très forte », avant d’ajouter que « le Venezuela a sorti beaucoup de gens de la pauvreté ».

Adrien Quatennens s’en est donc tenu aux faits, ne répondant pas à l’injonction journalistique d’admettre le terme de « dictateur » pour qualifier Maduro. On peut y voir la volonté de ne pas verser dans une forme de confusion sémantique, mais auquel cas le jeune élu aurait peut-être pu développer. Derrière cette prudence réside aussi très probablement une volonté de la part de la gauche, pourtant lucide sur les outrances du régime actuel, de ne pas donner de grain à moudre à une opposition très marquée idéologiquement. Désignant leur ennemi, dans un geste somme toute assez schmittien, les « Insoumis » font le choix de ne pas livrer en pâture un « ami » quelque peu embarrassant. Anticipant le basculement à droite d’un énième pays latino-américain, alors que le continent avait revitalisé l’espoir de la gauche européenne au début des années 2000.

D’où peut-être, le silence estival de Jean-Luc Mélenchon, qu’il a fini par briser lors de l’université d’été de son mouvement, là-encore suite aux exhortations répétées des médias et de divers responsables politiques. En introduction d’une conférence de l’ex-président équatorien Rafael Correa invité par son mouvement, le 25 août, il s’est exprimé en ces termes : « pas une fois (…) nous ne perdrons notre temps à jeter des pierres à nos amis, dont nous savons qu’ils ne sont pas parfaits, car nous-mêmes ne le sommes pas (…) Quelque erreur que fassent nos amis, ne perdons pas de vue que le principal responsable du mal, du désordre et des tentatives de guerre civile, c’est l’impérialisme américain ». Une déclaration qui n’est évidemment pas passée inaperçue.

Quelques jours plus tard, c’est Emmanuel Macron qui prend la parole sur le Venezuela, n’hésitant pas à en faire un angle d’attaque contre le leader de La France Insoumise, qui lui a répondu dès le lendemain via un long billet sur son blog. À l’occasion d’un discours de politique étrangère devant les ambassadeurs français réunis à Paris, le président a déclaré : « nos concitoyens ne comprennent pas comment certains ont pu être aussi complaisants avec le régime qui est en train de se mettre en place (…). Une dictature qui tente de se survivre au prix d’une détresse humanitaire sans précédent, alors même que les ressources de ce pays restent considérables ». Considérables certes, pour ce qui est des réserves d’or noir, le chef de l’État omettant juste de préciser que c’est l’effondrement des cours du pétrole qui a rendu le pays exsangue économiquement. Et que la restriction de l’accès aux capitaux étrangers décidée par les États-Unis le 25 août ne peut que l’asphyxier davantage, le Venezuela se trouvant dans l’incapacité de s’en sortir sans ces fonds, à moins d’un défaut de paiement.

Le régime vénézuélien a opéré un basculement, depuis que la Cour suprême s’est octroyé les prérogatives du Parlement en avril dernier, jusqu’à la fermeture de nombreux médias (49 en 2017 selon Marco Ruiz, secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de la presse), en passant par le simulacre d’élection d’une assemblée constituante toute acquise au pouvoir.

Si les accents et la pratique autoritaires du régime de Nicolás Maduro ne sont plus à démontrer, considérablement aggravés par le décompte mortifère des victimes de la répression, et si la condamnation sans appel de ces exactions apparaît dès lors comme une évidence, il s’agit cependant d’éviter l’écueil du traitement partiel de l’information, et de faire preuve de lucidité à l’endroit d’une opposition radicalisée qui vise à la restauration d’un ordre social non dénué de violence. D’où, probablement, le drame du Venezuela contemporain, qui se trouve non seulement au bord de la guerre civile, mais aussi dans une impasse.

© Photo : WikiCommons

Soizic Bonvarlet

Soizic Bonvarlet

est journaliste bi-media pour LCP, Slate et Politis(International/Parlement/ Culture), et membre du comité de rédaction de la revue Charles.
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