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HomeMondeIsmael SACKO : « La situation sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne est objectivement préoccupante »

Ismael SACKO : « La situation sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne est objectivement préoccupante »

  • Interview d’Ismael SACKO, Conseiller du Président du Mali, Président du Parti Social-Démocrate Africain (PSDA), Membre de la majorité Présidentielle

 

1/ En dépit de l’engagement de la France, de l’Union européenne et des Nations Unies, la situation sécuritaire du pays au Mali et dans la bande sahélo saharienne est au mieux dans l’impasse au pire en voie de dégradation. Quelle est votre analyse en qualité de responsable politique ?

Aujourd’hui, la situation sécuritaire dans la bande sahélo- saharienne est objectivement préoccupante et je saisis cette opportunité pour m’incliner devant la mémoire des morts civils et militaires, maliens et étrangers tombés au Sahel et Mali pour la stabilité de nos pays et de l’Humanité.

En tant que responsable politique je déplore cette situation et nous sommes tous préoccupé par la dégradation de la situation sécuritaire au Mali et dans le Sahel. Aujourd’hui nos pays continuent à faire face à une coalition de groupes terroristes aspirant à soumettre ma région à une forme de domination sous couvert d’une interprétation dévoyée de l’islam. Ces organisations ont trouvé chez nous un terreau fertile pour propager leur doctrine, et développer une économie du crime dans toute la bande sahélo-saharienne. De surcroît, certains pays voisins, pour nous maintenir dans leur giron, parrainent et sous-traitent avec ces groupes qui agissent contre la stabilité et l’équilibre du monde, on le voit d’ailleurs pour la Libye. Une solution doit être trouvée à la crise libyenne qui a des conséquences très directe sur ce qui se passe dans la bande sahélo-saharienne. Nous considérons par ailleurs que l’Algérie devrait intégrer le G5-Sahel au regard de sa proximité, des liens entretenus avec des chefs rebelles mais aussi à cause de sa puissance militaire et de sa connaissance du terrain.

La lutte contre le terrorisme nécessite un Etat fort, proche de sa population et disposant d’une armée équipée, professionnelle ayant le leadership sur le théâtre des opérations. Pour ce faire, l’appui de la communauté internationale est indispensable car, nous menons au Sahel le combat pour la stabilité et de l’équilibre du monde. Si le Sahel tombe sous le joug de nos ennemis communs, c’est aussi l’Europe qui en subira à nouveau les affres.

Le Sommet de Pau a apporté des réponses adaptées et appropriées à la situation sécuritaire dans le Sahel. En tant que politique, nous devons tous ensemble, avec la société civile des différents pays, veiller à la mise en œuvre de ces mesures.

 

2/ Comment les populations maliennes perçoivent elle les choses ?

Nos populations ne comprennent pas pourquoi, malgré le dispositif de BARKANE (4500 hommes) et avec près de 10 000 hommes de la MINUSMA que des civils cultivateurs, éleveurs, enfants et femmes continuent d’être tués et que des milliers d’écoliers n’aient plus accès à l’instruction. Les Maliens ne comprennent pas le blocus installé autour de Kidal et suspectes aujourd’hui une complaisance de la France et de l’Europe sur ce point. Les cadres et intellectuels de la zone Sahélo-Saharienne ne comprennent pas l’insuffisance de la mobilisation des fonds du G5-Sahel et s’interrogent sur le processus de décaissement. Nous ne comprenons pas que les fonds mobilisés pour lutter contre le terrorisme au Sahel, sur notre territoire soient majoritairement investis dans une logistique et du matériel que nos forces et de défense n’utilisent pas. Nous ne comprenons pas que la MINUSMA intervienne pour construire des écoles et finance des projets de développement local et des AGR alors que nous sommes dans un pays souverain. Ces actions de la MINUSMA sont du ressors de l’Etat malien. Ces fonds doivent être reversés dans les caisses de l’Etat chargé de les investir à travers les élus locaux.

Les Maliens appellent de tous leurs vœux, une meilleure coordination sur le terrain des opérations militaires sous le leadership des Forces et de Défenses du Mali. Nous considérons que les forces maliennes doivent être en première ligne et les forces étrangères en soutien, le renseignement devrait être mieux partagé afin de contrer à temps les menaces. L’embargo au tour de Kidal doit être levé sans délais et sans condition. Et il revient à l’Etat de sécuriser ses fonctionnaires dans les zones à conflits en distribuant aux populations les services sociaux de base.

Néanmoins, ces sept dernières années démontrent si besoin était que les armes ne suffisent pas pour sortir le Mali et ses voisins de l’impasse et retrouver les voies de la paix et la stabilité. J’estime pour ma part que nos dirigeants doivent avoir comme priorité la reconstitution du le tissu social, et renouer la confiance afin d’encourager un développement inclusif.

 

3/ Le processus politique est bloqué et les accords d’Alger semblent à ce stade caducs. Quelles sont selon vous les déterminants de ce blocage ? Comment comptez-vous relancer le processus politique ?

De mon point de vue, bloqué n’est pas le terme qui convient. Le processus politique a connu de bien pires moments dans ce pays. Depuis la signature en fin avril 2019 de l’Accord Politique de Gouvernance (APG) qui a permis l’entrée dans le gouvernement de certains acteurs clés de l’opposition politique, le pays connait une stabilité politique précaire.

Pour ce qui est du processus de paix, c’est un processus dynamique qui a prévu des mécanismes pour régler les problèmes qui pourraient subvenir dans sa mise en œuvre. De 2015 à fin 2019 soit 4 à 5 ans après la signature à Bamako, de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, le peuple malien a manifesté sa volonté de procéder à la relecture dudit accord tout en conservant le caractère laïc, républicain et l’intégrité territoriale du Mali. Les raisons de cette relecture portent sur l’échec de son appropriation par les populations locales et sur les difficultés dans sa mise en œuvre car certaines dispositions sont incompatibles avec notre constitution.

Par ailleurs, du 22 au 30 décembre 2019, dans le cadre du Dialogue National Inclusif (DNI) initié par l’opposition politique et concrétisé par le Président de la République, le peuple malien, conscient des défis et du danger qui guettent notre stabilité, a acté la relecture de l’accord dit d’Alger. Cette relecture s’inscrira dans l’article 67 qui prévoit cet exercice. Le DNI a été une grande opportunité pour proposer des solutions inclusives émanant de la population. Outre les questions relatives à l’accord, les participants ont également traité les aspects liés à la sécurité, à la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. La tenue des élections législatives pour renouveler le parlement, l’école malienne, la crise sociale, la migration, l’emploi et les questions environnementales ont aussi fait l’objet de débat au DNI.

Aujourd’hui, nous attendons la mise en œuvre diligente des recommandations à court terme et la planification des résolutions pertinentes. Ce qui permettra de résorber en grande partie les difficultés que les maliens rencontrent.

 

4/ Comment qualifiez-vous les relations entre le Mali et la France et de façon générale l’Europe ? Doivent elles évoluer et dans quelles direction ?

Il faut dépassionner les débats et être lucide. De façon générale la coopération bilatérale entre le Mali et la France se porte bien. Le nombre de Maliens vivant en France et leur apport économique et culturel en témoignent. Souvenez- vous de l’accueil triomphal et fraternel que l’ensemble des Maliens a réservé à la force française SERVAL en 2013. Toutefois, si la France reste notre partenaire privilégié, notre pays a besoin d’autres partenaires d’Europe et d’Asie.

En effet, la nouvelle génération de leaders africains ne se reconnait pas dans le modèle de solidarité internationale que nous impose l’Occident, car elle considère qu’il nous revient d’engager une gouvernance qui nous soit propre. Nous disposons de hauts cadres formés dans nos grandes écoles et des prestigieuses universités européennes, désireux de servir leur pays. Nous aurons toujours besoin de la France et de l’Europe dans des domaines où nous manquons d’expertise et en matière de transferts de technologie. La nouvelle génération africaine qui n’a pas connu la colonisation veut des relations décomplexées. Voilà vers où nos relations doivent évoluer avec la France mais pas que. Avec tous ceux qui veulent tisser des relations avec nos pays.

 

 

William Leday

William Leday

est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.
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est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.

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