Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), a répondu aux questions de Chronik à l’occasion de la parution de « L’Année stratégique 2018 » (IRIS / Armand Colin), alors que le hard power et les postures « virilistes » refont surface sur la scène internationale.
Dans la course au leadership mondial, l’idée véhiculée selon laquelle « Poutine est l’homme le plus puissant du monde » est-elle fondée ?
C’est ce que pensent beaucoup d’observateurs. Le magazine Forbes l’a d’ailleurs déclaré, pour la seconde fois, dans son numéro-bilan de l’année 2016. Mais je doute que Vladimir Poutine, lui-même, le pense. Certes, il « impressionne » par son obstination à tenir tête au monde occidental : il conserve solidement la Crimée et reste actif sur le Donbass ; l’aviation russe a permis à son allié, Bachar Al-Assad, de reprendre Alep et de conforter son régime ; il a effectué un retour en force au Proche-Orient.
S’il est sous l’effet de sanctions occidentales, il bénéficie d’excellentes relations avec les autres pays des BRICS et le reste du monde en général. Contrairement à ce qu’on peut parfois entendre ou lire dans les commentaires, la Russie n’a pas été sanctionnée par la communauté « internationale », mais par la communauté « occidentale ».
Poutine est cependant loin d’être à la tête d’une superpuissance. S’il a réussi à relever la tête depuis qu’il est au pouvoir, le PIB de la Russie équivaut toujours à un dixième du PIB des États-Unis et un tiers du PIB chinois. L’armée russe, présentée comme un épouvantail par l’OTAN et le Pentagone, ne représente que 10% du budget militaire américain public, équivalant seulement à l’augmentation décidée par Trump pour l’année à venir.
Faut-il donc se tourner vers la Maison blanche pour voir l’homme le plus puissant de la planète ?
Les États-Unis sont sans conteste la première puissance mondiale. Ils font la course en tête dans tous les domaines : économique, stratégique, technologique et influence (soft power).
Cela étant dit, le slogan de Trump, « Make America great again », est bien l’aveu implicite d’un relatif déclin, sinon il ne serait pas nécessaire de restituer à l’Amérique sa grandeur. Malgré les critiques féroces qu’il avait adressées à Obama, Trump partage avec lui cette vision commune : les États-Unis ne peuvent plus être les gendarmes du monde. Mais Obama faisait de ce constat le point de départ de sa politique plus multilatéraliste quand Trump se dirige vers un unilatéralisme débridé.
Arrivé au pouvoir, il a changé de cap sur nombreux sujets, en grande partie, semble-t-il, sous la pression des généraux qui constituent sa garde rapprochée et le véritable centre du pouvoir. Finis l’abandon des alliés coréen et japonais ou la prise de distance avec l’OTAN. Oubliée la volonté de se rapprocher avec la Russie. Sur de nombreux autres dossiers – relations avec la Chine, gestion du dossier nord-coréen –, Trump a montré l’écart entre ses déclarations intempestives et sa réelle capacité d’action.
Le président américain ne peut pas se comporter comme si le monde était unipolaire. Il y a d’ailleurs fort à parier que la politique de Trump vienne finalement affaiblir les États-Unis, notamment en accentuant leur isolement.
Aux États-Unis, le complexe militaro-industriel, qui avait résisté à Obama, est en période de fête avec Trump.
Pourquoi déplorez-vous une relance de la course aux armements ?
On assiste aujourd’hui, au niveau mondial, à une nouvelle course aux armements inquiétante et irrationnelle, si l’objectif premier demeure la sécurité.
Aux États-Unis, le complexe militaro-industriel, qui avait résisté à Obama, est en période de fête avec Trump. L’augmentation du budget de la Défense, à mettre en parallèle avec les coupes dans les budgets de l’aide civile du département d’État, est de l’ordre de 37%.
Les pays de l’OTAN, rassurés du retour de flamme de Trump, vont s’efforcer d’atteindre l’objectif de 2 % du PIB en matière de dépenses militaires. Pour beaucoup d’entre eux, cela signifiera une augmentation de l’achat d’armements aux États-Unis. La tension dans le Golfe, entre le Qatar et l’Arabie Saoudite, se traduit également par un afflux de commandes vers l’industrie militaire américaine. La crise coréenne accélère le réarmement du Japon et la Corée du Sud a accepté le système de défense antimissile. Cette course aux armements, où chacun entraîne l’autre, traduit un manque de réflexion globale sur les moyens d’une réelle sécurité.
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