C’est un fait, la démocratie représentative est en crise. Une fatigue démocratique qui s’exprime par une défiance à l’égard de gouvernants, accusés pêle-mêle d’incompétence, d’impuissance, d’immoralité et de non-représentativité. La diffusion de l’« illibéralisme » est un symptôme de cette crise : nombre de régimes politiques occidentaux semblent être entrés dans une zone grise, à la charnière du régime autoritaire et de la démocratie libérale, et dans lesquels les dirigeants, bien qu’élus, tendent à remettre en cause les droits fondamentaux des citoyens. Les régimes conservent ainsi les procédures électorales classiques, mais restreignent les libertés civiques. Les démocraties illibérales ne rejettent pas frontalement les principes fondateurs de la démocratie comme le font les dictatures, mais elles les vident progressivement de leur substance. Ce phénomène risque-t-il de s’étendre à l’ensemble du monde occidental ?
Si la tentation illibérale ou autoritaire se fait sentir, y compris en France, depuis la crise économique et financière de 2008, il est possible d’observer le développement de gouvernements technocratiques qui fondent leur autorité sur leur expertise et leurs méthodes plutôt que sur une vision politique. Ces années de crise ont été marquées par la mise en place de nombreux gouvernements de ce type, appelés gouvernements techniques et faisant souvent fi des principes démocratiques. Ils ont réussi à se développer grâce à deux éléments : une « dépolitisation » de la vie publique, qui n’exclut pas une « repolitisation » des citoyens (à travers des modalités extra-électorales et éloignées du système représentatif). Ils ont également favorisé l’isolement de l’élite politique vis-à-vis des citoyens. La tendance actuelle tend à montrer que les électeurs rejettent les politiques mises en œuvre par les technocrates, mais également leurs valeurs. Dans ce contexte, les institutions européennes apparaissent comme l’incarnation de la dépolitisation de la prise de décision et surtout comme l’incarnation de l’éloignement des principes démocratiques. Les fonctionnaires européens traitent de la même manière la question des quotas de pêche et celle des quotas de migrants. La première décision offre un cadre économique à des entreprises et une autre touche directement les nations et leurs électeurs sur des notions de solidarité et d’identité. Au-delà de ce phénomène, la démocratie occidentale est bousculée par la Chine et la Russie qui distillent des messages selon lesquels la démocratie occidentale serait un leurre.
En outre, la majorité des électeurs ne s’identifie plus à une idéologie, mais peut changer de partis d’une élection à l’autre. Le vote se fait souvent au dernier moment, de manière plus opportuniste en fonction d’intérêts personnels. Dès lors les politiques se sont recentrés sur une forme de pragmatisme gestionnaire, renforçant le sentiment des électeurs selon lequel il est possible de changer de dirigeants politiques, mais pas de ligne politique. Ce sentiment a été renforcé par l’alternance au pouvoir de la gauche et de la droite dans de nombreux pays, parfois la formation de coalition entre les deux avec le sentiment qu’il n’y avait que trop peu de différences entre l’un et l’autre. Les discours populistes des partis nationalistes-identitaires se sont renforcés sur ce sentiment de frustration et de rejet des partis traditionnels.
Il est cependant nécessaire aussi bien de prendre la mesure des évolutions et périls actuels, que de prendre de la hauteur. Si la démocratie est en crise, elle l’est par rapport à quel idéal ? Qu’est-ce qu’une démocratie qui fonctionne bien ? Quelles leçons tirer du passé, voire des origines de la démocratie ? Nous en débattons le jeudi 21 novembre avec David Djaïz, Essayiste et enseignant à Sciences Po Paris, auteur de Slow Democratie (Éditions Allary, 2019) et Dimitri El Murr, professeur de philosophie à l’École normale supérieure de Paris et membre du centre Jean Pépin, auteur de Savoir et gouverner : essai sur la science politique platonicienne (Éditions Vrin, 2014).
Débat organisé par Chronik et la Librairie Vrin,
Jeudi 21 novembre, à 18h30 à la Librairie philosophique J. Vrin,
6, place de la Sorbonne, 75005 Paris
Un débat animé par Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l’Institut Français de Géopolitique
Avec :
David Djaïz, essayiste et enseignant à Sciences Po Paris
Dimitri El Murr, professeur de philosophie à l’École normale supérieure de Paris
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