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Si le clivage droite-gauche, héritage de 1789, a souvent été remis en cause, c’est aujourd’hui la catégorie « de gauche » qui semble être la plus dédaignée, y compris par ses propres représentants.
Lors de son discours de candidature à la présidence du parti Les Républicains le 3 septembre dernier, Laurent Wauquiez s’est présenté comme le héraut d’une droite authentique, s’appuyant sur le constat tout personnel d’une France qui appellerait de ses vœux « une droite qui soit vraiment de droite ». Des propos s’inscrivant dans un mouvement en cours depuis au moins une décennie, illustré notamment par le concept de « droite décomplexée » cher à Jean-François Copé ou par la « rupture » sarkozyste, en passant par la « droite populaire » fondée par les ex-députés Thierry Mariani et Jacques Myard, qui n’a jamais eu grand chose à envier à une large part du discours frontiste. Enfin, le jubilé de la « Manif pour tous », en 2013, est venu couronner cette renaissance de la droite revendicative et revendiquée, au travers d’un mouvement dans la rue inédit par son ampleur.
Force est de constater qu’il n’existe pas d’équivalent de cette fierté droitière à l’opposé de l’échiquier politique actuel, et que se dire « de gauche » semble même être devenu obsolète. Un état de fait qui a longtemps été l’apanage de la droite, au moins durant les décennies post-soixante-huitardes de 1970 et 1980. Non que la droite ait jamais disparu, au même titre que la gauche n’a pas signé son acte de mort, mais il semblait pendant un temps difficile, ou en tout cas désuet, d’oser s’en réclamer.
Marxiste mais pas de gauche, de gauche mais pas marxiste…
Une tombée en désuétude – et laissons de côté un instant le corpus idéologique pour nous concentrer sur l’auto-affirmation – qui a donc changé de couleur politique. Les « Insoumis », qui incarnent, qu’on le veuille ou non, une opposition offensive reprenant les grandes inspirations du socialisme du XXème siècle en y injectant des dimensions « nouvelles », liées notamment au souci de l’environnement, ont cessé de se revendiquer « de gauche ». S’ils ne contestent pas son héritage, ils ne se définissent plus prioritairement en tant que tels, comme à l’époque du Front de gauche et du Parti de gauche, fondé en 2009 par Jean-Luc Mélenchon.
Aussi la députée de la France insoumise Danièle Obono, que nous avions interrogée à l’occasion de sa rentrée parlementaire il y a quelques semaines, nous avait-elle confié se définir en tant que « marxiste » et pour autant, « pas forcément de gauche », soulignant l’inanité théorique du clivage droite-gauche. Notons à cet égard que le PS, lui, a fait le chemin inverse, abandonnant la grille de lecture marxiste, voire socialiste, tout en continuant de se dire « de gauche ». L’exemple le plus édifiant en la matière au regard de l’histoire récente est probablement incarné par l’ancien premier ministre Manuel Valls.
Dans son changement de nom et de modalité discursive, la France insoumise a un inspirateur, l’espagnol Podemos. En effet, le parti de Pablo Iglesias a appliqué avant Jean-Luc Mélenchon la stratégie populiste substituant à l’opposition séculaire entre la droite et la gauche la dichotomie « peuple-élites ». De même que les travailleurs ont été remplacés dans les discours de Podemos par la gente (« les gens »), terme que le candidat de la France Insoumise n’a eu aucun mal à s’approprier durant sa dernière campagne présidentielle.
Pour Podemos comme pour les Insoumis, il s’agit évidemment de ratisser plus large en excédant leur noyau électoral de gauche. Stratégie en partie payante si l’on en croit les succès du parti espagnol, lors des élections générales de décembre 2015 notamment, et le score réalisé par Jean-Luc Mélenchon cette année, loin devant Benoît Hamon, dont le projet de social-démocratie revivifiée assumant son ancrage à gauche a échaudé les cadres du PS, et peiné à convaincre 7% de l’électorat. Ce qui a fait dire au leader de La France insoumise dans une interview récente que « la vieille gauche » était à bout de souffle, lui-même ne prétendant pas avoir voulu construire une gauche nouvelle ou authentique, mais « prendre la tête du courant dégagiste ».
Il apparaît légitime de se demander si l’effacement du clivage droite-gauche dans le logiciel idéologique des Insoumis ne témoigne pas a minima d’une forme de concession à la doxa dominante.
Or cette évolution du mouvement de Jean-Luc Mélenchon, dans la manière dont il choisit de s’auto-définir, n’est ni totalement superficielle, ni exclusivement stratégique. Elle induit une dérive de fond, à savoir la convocation tous azimuts, à côté de la notion de « peuple », de celle de « patrie » – contre les technocrates de Bruxelles, contre la mondialisation sauvage -, d’où le risque de tomber dans une forme de discours souverainiste. Risque incarné par l’exemple du mouvement Cinque Stelle, autre formation populiste, emmenée par Beppe Grillo en Italie. À noter cependant que les envolées xénophobes du discours grilliste sont facilitées par le fait que son mouvement n’émane justement pas d’un parti de gauche, mais d’une coalition farouchement eurosceptique. Une différence majeure avec Podemos et la France insoumise, dont la tradition internationaliste et l’imprégnation altermondialiste agissent comme des garde-fous à la tentation d’une stratégie aux penchants cocardiers.
« Ni de droite, ni de gauche », un vieux serpent de mer
Mais au-delà de ce risque, la plupart du temps maîtrisé, il apparaît en tout état de cause légitime de se demander si l’effacement du clivage droite-gauche dans le logiciel idéologique des Insoumis ne témoigne pas a minima d’une forme de concession à la doxa dominante.
Cette dernière n’est en l’occurrence pas née de la dernière pluie, pas plus que des dernières élections. Le fait de dénoncer comme éculées les notions de « droite » et de « gauche » et de se revendiquer d’un pseudo-modernisme qui les met à bas est un vieux serpent de mer, dont le « ni de droite, ni de gauche » d’Emmanuel Macron n’est que le dernier avatar (avec une variante « et de droite et de gauche » dont la signification est exactement la même, les deux propositions s’annulant en étant sorties de leur dichotomie intrinsèque).
Dans La Deuxième droite, paru en 1986, Louis Janover et Jean-Pierre Garnier dénonçaient déjà le « ninisme » comme « néant de la pensée ». Une troisième voie longtemps occupée par le centre – « deuxième porte à droite », selon les mots célèbres de Marguerite Duras -, et qui est aujourd’hui l’apanage du macronisme. Et de Marine Le Pen, qui s’est elle aussi faite pourfendeuse du clivage droite-gauche, auquel elle a substitué un autre antagonisme, qui opposerait les « patriotes » aux « mondialistes ».
En dépit de son attachement au « consensus », Emmanuel Macron a également forgé sa propre opposition fondatrice, celle des « progressistes » versus les « conservateurs ». Ces derniers se recrutant bien entendu au sein des vieilles catégories de droite comme de gauche. Concernant ce qui est entendu sous le terme de « progrès », l’un des concepts les plus évanescents qui soient, philosophiquement et historiquement, et sa traduction en matière sociétale, il faudra attendre. Le contenu des ordonnances pour la réforme du code du travail en donne cependant un aperçu, et fournit à la gauche, au travers de la mobilisation des semaines à venir, une opportunité peut-être historique de se refaire un nom.
© Photo : Flickr
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