Lors de la manifestation du 21 septembre 2017 contre la loi travail, Jean-Luc Mélenchon a appelé les électeurs « fâchés pas fachos », orphelins de Florian Philippot, à rejoindre les rangs de son mouvement. L’occasion de revenir sur l’existence d’une prétendue porosité entre les votes dits « extrêmes », et sur la stigmatisation du vote populaire. Le « gaucho-lepénisme » existe-t-il ?
Considérer que le « vote ouvrier » est passé des mains du Parti communiste à celles du Front national relève désormais de l’assertion apparemment indiscutable. Le politologue et très médiatique Pascal Perrineau est même allé jusqu’à forger l’expression de « gaucho-lepénisme ». Il est vrai qu’en 1995, le parti frontiste a su conquérir une partie, assez négligeable, du vote populaire, phénomène qui s’est exacerbé avec la montée en puissance de la fille de son fondateur, et l’inflexion discursive inoculée par Florian Philippot, introduisant dans le logiciel idéologique du FN l’impératif de préservation du modèle social français.
Pour autant, si cette réalité existe, elle résulte moins d’une conversion de l’électorat communiste à la foi frontiste que d’un processus de politisation d’individus qui n’exprimaient jusqu’alors que désintérêt, voire exaspération à l’endroit de la politique. La greffe FN sur le vote populaire a pu prendre sur une population essentiellement abstentionniste, qui a fini par se tourner vers les urnes avec l’émergence médiatique de Marine Le Pen notamment. Et si le fameux passage d’un vote de gauche à un vote frontiste existe, il ne se mesure généralement pas à l’échelle de l’individu, mais d’une, voire de deux générations à une autre.
Lors de la dernière élection présidentielle, peu de médias ont fait état des scores exceptionnels de Jean-Luc Mélenchon dans les départements à forte implantation communiste.
Ce sont bien souvent les enfants ou petits-enfants d’électeurs communistes qui, pour une partie d’entre eux, se sont ralliés à l’extrême droite. Une France périurbaine, composée essentiellement d’employés, bien souvent recroquevillée sur la cellule familiale. Une population atomisée, ne fréquentant plus les lieux traditionnels de sociabilité de voisinage, – les cafés ayant déserté les zones périphériques-, et n’ayant pas connu la promiscuité de l’usine, marmite politique par excellence.
DU VOTE COMMUNISTE AU VOTE… MÉLENCHON
Lors de la dernière élection présidentielle, peu de médias ont fait état des scores exceptionnels de Jean-Luc Mélenchon dans les départements à forte implantation communiste. C’est le cas de zones géographiques aussi diverses que l’Ariège, la Dordogne ou encore la Seine-Saint-Denis. Dans ces trois bastions « rouges », le candidat de la France insoumise est arrivé en tête dès le premier tour. Un phénomène qui met à mal l’argument du vote communiste qui aurait tourné le dos à la gauche en se reportant massivement sur le Front national.
En outre, le parti majoritaire au sein de l’électorat populaire reste bien celui de l’abstention, et non de l’extrême droite. À cet égard, une étude édifiante menée par les chercheurs du CNRS de Montpellier réunis au sein du Centre d’études politiques de l’Europe latine, s’est attelée à scruter la carte électorale des quartiers prioritaires de la politique de la ville, anciennement « zones urbaines sensibles », constatant, par rapport à l’échelle nationale, non seulement « une abstention plus prononcée », mais aussi, « un vote Le Pen inférieur à la moyenne ». Cette étude, menée sur les scrutins de 2012 et de 2017 dans la grande région Occitanie, montre que dans les deux cas, les habitants de ces quartiers ont voté plus à gauche et moins FN que la moyenne des villes où ils étaient situés.
LA « CONJONCTION DES EXTRÊMES », ARGUMENT DE DISCRÉDIT DE LA GAUCHE
La thèse de la « conjonction des extrêmes » induit l’idée d’un socle théorique commun. Or dans le cas du FN c’est bien Florian Philippot, violemment contesté au sein du parti d’extrême droite jusqu’à son inévitable éviction, qui a introduit des dimensions non conformes à son idéologie originelle. Toute proportion gardée, Jean-Luc Mélenchon a de son côté adopté des accents de patriotisme en rupture avec la tradition internationaliste de la gauche. De là à parler de connivence intellectuelle, ne s’agit-il pas là d’un faux-nez du libéralisme qui a toujours fait en sorte de discréditer la gauche – et le vote populaire -, à grand renfort de comparaisons hasardeuses et d’accusations d’« extrémisme » ? Précisons à cet égard que Jean-Luc Mélenchon n’envisage aucune convergence des luttes possible avec l’ex-vice-président du FN qu’il place sans équivoque dans le camp des « fascistes ».
Pour autant, il n’est pas contestable que le FN et la France insoumise partagent une cible électorale commune, qui s’incarne dans le vote populaire. L’enquête menée cette année par le CEVIPOF a montré que les électorats de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon se distinguaient tous deux par leur faible niveau de patrimoine. À cette nuance près que les sympathisants de la France insoumise ont fait plus d’études supérieures, ce qui explique en partie une politisation plus ancrée.
Aller plus loin : pour Eric Fassin, « la gauche doit s’adresser en priorité aux abstentionnistes ».
Il existe en outre bel et bien un contingent mouvant d’individus « fâchés » qui oscille entre les deux pôles. Le fameux « vote contestataire », qui regroupe des électeurs assez peu politisés, dont la volonté première est de sanctionner les partis de gouvernement. Jean-Luc Mélenchon a choisi de ne pas ostraciser cette frange volatile et finalement assez mince de l’électorat. Qu’il l’appelle à revenir dans son giron n’a sûrement rien de condamnable, à condition que l’entreprise de séduction, à grand renfort de stratégie populiste, n’aille pas trop loin, et ne trahisse pas les valeurs inconditionnelles de la gauche.
© Photo : Flickr
Soizic Bonvarlet
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