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(Anti)sionisme : le mot et les choses

Il y a quelques semaines, l’agression d’Alain Finkielkraut en marge d’un cortège de gilets jaunes a suscité un émoi collectif et fait émerger la tentation au sommet de l’État d’une pénalisation de l’antisionisme. Retour sur une polémique, et sur une manœuvre de discrédit devenue presque banale.

Tout a été dit sur les gilets jaunes. « Non-structurés », « violents », « irréalistes » ou encore « complotistes », rares sont les critiques auxquelles ils aient échappé, la pire suspicion à la laquelle ils aient à faire face étant probablement celle du racisme, et plus particulièrement de l’antisémitisme. De fait, au sein de ce mouvement protéiforme s’il en est, évoluent des racistes, il serait malhonnête de le nier. Mais n’est-il pas encore plus malhonnête de réduire ce mouvement social à ces individus, qui certes le composent, mais de manière minoritaire et sans être aucunement représentatifs du collectif qu’il incarne ? Doit-on rappeler que le 4 février dernier, Robert Ménard, jouant le jeu du « grand débat » à Béziers, s’est heurté à une fin de non-recevoir alors qu’il tentait désespérément de faire dire à ses administrés que l’immigration était la cause de tous leurs maux ? Que le 12 janvier, des individus en effet antisémites, scandant « Dieudonné Président » et « Juifs criminels », ont été virés manu militari de la Place de l’Etoile par des gilets jaunes de la première heure, Benjamin Belaidi et Taha Bouhafs, pour ne pas les nommer ?

La critique du sionisme, hier et aujourd’hui

Revenons sur ce terme d’antisionisme, dont il a été acté à la faveur du mouvement des gilets jaunes, en tout cas dans la bouche de ses contempteurs, qu’il était un synonyme d’antisémitisme. Il faut pouvoir distinguer les différentes dimensions d’un concept en fonction de ce qu’il revêt originellement, de son usage concret dans un contexte historique donné, et enfin, de son dévoiement. Si l’antisionisme peut être, dans de trop nombreux cas, un faux-nez de l’antisémitisme, c’est uniquement par dévoiement. Et si à l’origine, l’antisionisme s’apparentait à contrecarrer le projet herzlien visant à la création d’un État des Juifs, de fait, dans son usage le plus commun, dans la France de 2019, il revient le plus souvent à critiquer la politique expansionniste de l’État d’Israël.

Cependant, il y a incontestablement des acteurs politiques et/ou sociaux qui se réfèrent aux ‘sionistes’ pour mieux viser ‘les Juifs’. Il ne faut évidemment pas négliger les dangers de l’usage instrumentalisé de l’antisionisme, comme dans l’invective : « sale sioniste de merde ». Mais cela devrait aller dans les deux sens. Si l’antisionisme est phagocyté par une partie de l’extrême-droite, d’autres n’hésitent pas à tordre la notion pour en faire un principe constituant de l’antisémitisme. Une manœuvre qui en plus de jouer dangereusement avec l’antisémitisme, vise à instituer un délit d’opinion, là où le sionisme a toujours été l’objet de riches débats. On pourrait citer à cet égard de nombreux passages rédigés par Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme, publié en 1951, à commencer par celui-ci :

« Après la guerre, la question juive, que tous considéraient comme la seule véritablement insoluble, s’est bel et bien trouvée résolue – en l’occurrence au moyen d’un territoire colonisé puis conquis – mais cela ne régla ni le problème des minorités ni celui des apatrides. Au contraire, comme pratiquement tous les événements de notre siècle, cette solution de la question juive n’avait réussi qu’à produire une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes, accroissant ainsi le nombre des apatrides et des sans-droits de quelque 700 à 800 000 personnes ».

Hannah Arendt, souvent citée par les antitotalitaires autoproclamés, s’est toujours méfiée de la possibilité d’un consensus à l’égard de l’idée sioniste, et si son propre rapport à ce qui a d’abord été un courant de pensée a été fluctuant au cours de sa vie, il ne s’est jamais départi d’un questionnement critique. Elle rejoignait en cela son ami Walter Benjamin, qui s’est suicidé le 26 septembre 1940, acculé par la barbarie nazie. Dans Vies politiques, la philosophe affirme d’ailleurs que le sionisme de Benjamin était loin d’être « convaincu », malgré un attrait pour une forme de « sionisme de l’esprit », qui avait pour vocation de développer la dimension juive de son existence, mais n’avait rien à partager avec les idées étatiques des cercles sionistes de l’époque. Dans un contexte pourtant marqué par l’imminence de la catastrophe, Walter Benjamin se démarquait du sionisme conçu comme mouvement politique et social, parce que l’option nationaliste du sionisme s’opposait diamétralement à ce qu’il estimait être la vocation du judaïsme, au travers d’une culture supranationale. En d’autres termes, la diaspora restait pour lui une forme d’idéalisme à soutenir. En tout état de cause, le sionisme a suscité le débat dès son émergence et tout au long du 20ème siècle.

De la souillure

Ce faisant, dans le contexte qui est le nôtre, dans un monde qui a vu s’exercer la Shoah et plus de 70 ans après la création d’Israël, ce que l’on appelle « antisionisme » relève bien plus souvent d’une critique de l’avance des colonies et des dérives de la politique militariste du gouvernement israélien à l’égard du peuple palestinien, que d’une remise en cause de l’État, en tout cas dans ses frontières de 1967. Nombreux pourtant sont ceux, à l’instar des membres de la majorité présidentielle, à faire coïncider la critique politique d’Israël et l’antisémitisme. À l’image de ceux qui n’ont jamais reconnu la lutte féministe s’en font les champions quand il s’agit de fustiger les femmes musulmanes qui souhaiteraient porter un hijab de sport, des individus peu préoccupés par le racisme, qui travaille pourtant en profondeur nos sociétés, souillent de l’accusation d’antisémitisme des personnes qui pour nombre d’entre elles, se sont politisées par la question de l’antiracisme. Ce n’est pas nouveau, et il est fort à parier que cette manœuvre ait encore de beaux jours devant elle. Tout l’enjeu est de ne pas se laisser par elle réduire au silence.

Soizic Bonvarlet

Soizic Bonvarlet

est journaliste bi-media pour LCP, Slate et Politis(International/Parlement/ Culture), et membre du comité de rédaction de la revue Charles.
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