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Burundi : une discrète descente aux enfers

Si le retrait du Burundi de la Cour Pénale Internationale (CPI), le 27 octobre 2017, a bien généré çà et là quelques articles de presse, force est de constater que très peu d’informations circulent sur l’évolution de la situation dans ce petit pays de la région des Grands Lacs d’Afrique. C’est donc dans un relatif silence que le régime actuel, dominé par le président Pierre Nkurunziza et son parti, le CNDD-FDD, font peser une répression et une terreur croissantes sur la population burundaise, et en particulier sur les organisations de la société civile.

Depuis mai 2015 et l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat présidentiel interdit par la constitution burundaise qui n’en permet en principe que deux, le Burundi a entamé une véritable descente aux enfers. Officiellement, la répression contre les opposants « au troisième mandat » a fait entre 500 et 2000 morts. En réalité, le nombre de « disparus », souvent enlevés de leur domicile en pleine nuit, s’élève probablement à plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Certains corps sont parfois retrouvés, des semaines plus tard, dans des champs ou des fossés. Les plus « chanceux » parviennent à fuir, près de 500 000 personnes à ce jour (un pourcentage énorme pour un pays de 11 millions d’habitants), et trouvent refuge principalement en Tanzanie, en République Démocratique du Congo, ou au Rwanda, mais aussi dans certains pays européens comme en Belgique, l’ancienne puissance coloniale. En moyenne, 600 personnes fuient chaque jour vers les pays limitrophes, en quête de sécurité, de nourriture et de travail.

D’autres, pour lesquels traverser la frontière est trop dangereux, ou qui ne veulent pas abandonner leur famille, se terrent en espérant échapper à la répression, menée par la sinistre « Documentation » (le Service national de renseignement) ou par les Imbonerakure, milices de jeunes armés au service du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Critiquer le gouvernement devant la mauvaise personne vous garantit un aller simple vers la prison, tout comme refuser de participer aux manifestations hebdomadaires organisées par le parti afin de dénoncer les ingérences étrangères ou de protester contre la commission d’enquête de l’ONU, qui a publié en septembre un rapport appelant à une enquête sur les crimes contre l’humanité commis dans le pays.

LE RÈGNE DE LA TERREUR

Progressivement, et dans l’indifférence quasi générale, le Burundi, régulièrement classé comme l’un des plus pauvres au monde, sombre ainsi dans la terreur et le chaos. En raison du manque de devises étrangères, le pays ne parvient plus à s’approvisionner en pétrole. Chaque jour, devant la plupart des stations-service du pays, des milliers de voitures, bus et camions font la queue. Les coupures d’électricité sont plus fréquentes que jamais, et les prix des transports flambent, ainsi que celui des denrées alimentaires les plus basiques, qui ne peuvent plus être transportées des points de production aux points de vente. Selon le International Rescue Committee, 4,2 millions de personnes (sur 11 millions, rappelons-le), souffrent de la faim au Burundi, dont 800 000 qui sont en urgence humanitaire absolue.

Indifférent aux molles protestations de la communauté internationale, le gouvernement tente à présent de renforcer son emprise sur le pays, notamment en projetant de modifier la Constitution pour autoriser le président Nkurunziza à rester au pouvoir jusqu’en 2034 s’il le souhaite – l’un des slogans favoris de ses partisans est d’ailleurs qu’il restera président « jusqu’au retour de Jésus-Christ sur Terre. »

L’opposition, affaiblie depuis un coup d’État manqué en mai 2015, peine à se reconstituer. Les mouvements armés, pour la plupart réfugiés dans les pays limitrophes, sont désorganisés et sans leadership depuis l’arrestation, le mois dernier en Tanzanie, de plusieurs de leurs cadres. Désormais, les opposants semblent placer leurs espoirs dans une éventuelle rébellion d’une partie de l’armée, et de quelques cadres-clés du CNDD-FDD. Mais ces espoirs sont minces, et une telle configuration ferait peser le risque d’un nouveau conflit majeur dans ce pays déjà meurtri par des décennies de conflits et de massacres de masse, depuis son indépendance obtenue en 1962.

UNE DIFFICILE MOBILISATION INTERNATIONALE

On peut se demander, face à une telle situation, pourquoi l’ONU ou d’autres acteurs internationaux majeurs comme l’Union européenne ou l’Union africaine n’interviennent pas, ou peu. L’ONU n’est pas restée complètement inactive, même si jusqu’ici les décisions prises par le Conseil de Sécurité se sont surtout distinguées par leur inefficacité. En juillet 2016 par exemple, la résolution 23-03 du Conseil de Sécurité annonçait l’envoi de 228 policiers internationaux au Burundi, finalement jamais déployés en raison de l’opposition du gouvernement burundais.

En août 2017, le président du Conseil de sécurité a « demandé aux parties burundaises de prendre des mesures pour sortir de l’impasse politique », sans pour autant prévoir la moindre sanction dans le cas contraire, et sans comprendre que le conflit ne ressemble plus à ceux des décennies précédentes, opposant diverses factions politiques ; il s’agit aujourd’hui d’une opposition entre un pouvoir terroriste et une population pour l’essentiel totalement démunie, pas d’un conflit entre Hutu et Tutsi, ou entre idéologies politiques divergentes. De son côté, la CPI a ouvert en avril 2016 un examen préliminaire sur diverses violences commises au Burundi, notamment des cas de torture, de meurtres, de disparitions forcées et de viols – mais le récent retrait du Burundi de la CPI rendra une éventuelle enquête beaucoup plus compliquée à réaliser.

Petit pays sans accès à la mer ni ressource stratégique de première importance, le Burundi ne préoccupe guère les grandes puissances, tout comme le Rwanda ne les préoccupait guère avant 1994.

C’est que le gouvernement burundais n’est pas sans alliés internationaux, notamment parmi ses voisins africains dont certains leaders, comme en République Démocratique du Congo, envisagent pour eux-mêmes un maintien au pouvoir au-delà des limites que la Constitution leur accorde. Le gouvernement du Burundi joue aussi habilement sur une hostilité latente, dans beaucoup de pays africains, à l’encontre d’un certain interventionnisme occidental aux relents colonialistes. Les sanctions prises par l’Union européenne – notamment, début 2016, la suspension des aides directes au gouvernement – ne semblent donc pas en mesure de faire plier le régime, d’autant qu’elles pénalisent la population plutôt que les élites.

Il faut aussi constater que le Burundi est victime de sa situation géographique : petit pays sans accès à la mer ni ressource stratégique de première importance, il ne préoccupe guère les grandes puissances, tout comme le Rwanda ne les préoccupait guère avant 1994. Sans risque majeur de génocide, de massacres de masse entre Hutu et Tutsi, ou d’effet domino dans le reste de la région, le Burundi ne suscite les passions ni dans les médias occidentaux, ni au sein des organisations internationales. Or, jusqu’ici et malgré les tentatives du CNDD-FDD en ce sens, le « facteur ethnique » ne joue pas de rôle majeur dans la crise. Que les Burundais se soient montrés capables, pour l’heure, de résister à la tentation de la haine ethnique est une chance pour la paix, mais c’est paradoxalement aussi l’une des raisons de la relative indifférence des opinions publiques occidentales à leur égard.

© Photo : Pixabay

Elise Féron

Elise Féron

est chercheuse senior au Tampere Peace Research Institute en Finlande. Ses recherches portent principalement sur les conflits communautaires, les diasporas et les questions de genre dans les conflits.
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est chercheuse senior au Tampere Peace Research Institute en Finlande. Ses recherches portent principalement sur les conflits communautaires, les diasporas et les questions de genre dans les conflits.

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