Dans son dernier ouvrage, L’information à tout prix, co-écrit avec avec Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, l’économiste Julia Cagé poursuit ses réflexions sur l’économie des médias en démontrant le poids considérable du copier-coller dans l’information diffusée en ligne. L’occasion de progresser sur la régulation de l’information, sans sacrifier sa démocratisation.
Le titre de votre livre laisse entendre, à la fois, qu’accéder à une information de qualité a un coût et que le système médiatique ne peut plus se passer d’informations chaudes, ce qui n’est pas sans conséquence. Notamment, vous montrez que le mimétisme en matière de restitution de l’information, synonyme d’appauvrissement des contenus, voire de mystification du lecteur, résulte de modèles économiques défaillants et anti-démocratiques.
Je ne pense pas que le système médiatique ne puisse plus se passer d’informations chaudes ; je pense au contraire que cette course à l’information chaude – qui conduit les médias à recourir de plus en plus systématiquement au copier-coller – n’est pas un équilibre de long-terme viable pour l’industrie. L’erreur des médias est de penser que les lecteurs récompensent avant tout la réactivité. Certes, il n’est pas faux que les lecteurs sont de plus en plus volatiles en ligne, mais ce que nous montrons dans le livre, c’est que la réputation des médias compte aussi toujours beaucoup aujourd’hui. Et cette réputation se construit grâce à la production d’une information originale de qualité.
Près des deux tiers du contenu produit en ligne en 2013 par les médias d’information sont du copier-coller.
Ainsi, l’un des objectifs de notre livre est de quantifier l’importance des effets de réputation afin que les médias puissent réaliser qu’ils n’ont pas tout à gagner à investir massivement dans l’information chaude au détriment par exemple de l’investigation.
En quoi et comment le numérique, qui a bouleversé le rapport à l’information en la démocratisant (pour le meilleur et pour le pire), porte-t-il en lui le potentiel d’un enrichissement d’un accès au savoir, pour tous ? Quels changements économiques sont-ils nécessaires pour ce faire ? Quelles pistes proposez-vous dans votre livre ?
Le numérique est une formidable opportunité : il permet l’accès du plus grand nombre à l’information. Mon travail sur les médias part d’un présupposé qui me semble essentiel : l’information est un bien public, et il est indispensable, pour le bon fonctionnement d’une démocratie, que chaque citoyen ait accès à une information indépendante et de qualité. Le numérique facilite cet accès, et il facilite la gratuité.
Le problème – et je pense qu’il faut l’affronter de face – est celui du modèle économique des médias qui produisent cette information. Car si la gratuité est une chance en ce qui concerne la diffusion au plus grand nombre, elle interroge aussi sur la façon dont l’information peut être monétisée. Dans L’information à tout prix, avec Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, nous quantifions par exemple l’importance du copier-coller (près des deux tiers du contenu produit en ligne en 2013 par les médias d’information sont du copier-coller !). Or, le copie-coller est un danger parce que les médias ne peuvent de ce fait plus monétiser l’information qu’ils produisent, ce qui a un coût.
Quelles solutions ? Nous discutons dans le livre de la question du copyright. Aujourd’hui, l’information est très peu protégée en ligne, et les régulations existantes ne sont pas respectées. Mettre la question du copyright sur la table permet de plus d’affronter un autre problème de taille, celui des agrégateurs comme Google News qui absorbent une énorme partie des revenus publicitaires en ligne au détriment des producteurs de contenu. Je crois qu’il y a là un combat important à mener, et que ce combat doit être mené au niveau européen.
Mais je suis également convaincue qu’il est nécessaire de repenser en profondeur le modèle économique et d’actionnariat des médias, en favorisant des médias à but non lucratif, avec par exemple la mise en place de la « société de média à but non lucratif » que j’avais déjà proposée dans mon livre Sauver les médias.
Sur ce sujet comme sur d’autres, comment concevez-vous votre rôle d’intellectuelle publique, de chercheuse engagée ?
Je pense qu’il est du devoir du chercheur de s’engager dans le débat public, notamment quand ses sujets de recherche ont des implications directes et peuvent donner lieu à la mise en place de politiques publiques. Ce n’est pas par hasard si j’ai choisi initialement l’économie des médias comme sujet de recherche et si je m’intéresse de plus en plus au financement des think tanks, des partis politiques et des campagnes électorales : comme citoyenne, j’estime que ce sont des sujets déterminants, avec des conséquences directes pour la qualité du débat démocratique.
Comme économiste ou plus largement comme chercheuse en sciences sociales, à travers la collecte de données, la mise en avant de faits précis, j’espère pouvoir contribuer à ce débat. Et en écrivant des livres, je veux le faire en touchant directement le grand public car je pense qu’il est nécessaire mais insuffisant de ne s’adresser qu’aux responsables politiques.
© Photo : Melting Book
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