Lors de ses voeux à la presse, le 3 janvier dernier, Emmanuel Macron a affirmé sa volonté de créer une loi « anti fake news » afin de réguler la circulation des fausses informations sur les réseaux sociaux en période électorale. À peine annoncé, le projet a suscité une controverse sur les menaces qu’une telle loi pourrait faire courir à l’exercice de la liberté d’expression sur internet.
Les campagnes électorales sont des périodes pendant lesquelles la pression que les pouvoirs publics exercent sur les médias s’accentue. Qu’il s’agisse de garantir le pluralisme des prises de parole dans les médias audiovisuels, de limiter les montants alloués par les partis à la communication électorale ou d’interdire aux journalistes de parler de la campagne la veille d’un scrutin, s’instaure en période électorale une régulation stricte du marché de l’information.
Depuis plusieurs années, la place prise par les réseaux sociaux dans le débat public constitue un défi pour le régulateur et montre les limites de l’exercice de son pouvoir (par exemple sur la question de l’annonce anticipée des résultats sur internet). La controverse autour des « fake news » et de leur utilisation à des fins de propagande politique donne au gouvernement une occasion de légiférer sur la circulation des informations en ligne, à l’heure où les réseaux sociaux sont devenus l’une des principales sources d’information des citoyens.
Pour Emmanuel Macron, le sujet revêt une dimension particulière puisque le candidat d’En Marche avait été pendant la campagne la principale cible des fausses informations les plus partagées, celles-ci étant en France (comme aux États-Unis) marquée du sceau de différents mouvements de l’extrême droite.
CÔTÉ PILE : TRANSPARENCE
Si le projet de loi n’est pas encore formalisé, les pistes évoquées par Emmanuel Macron lors de ses voeux à la presse sont relativement précises. La première consiste à imposer aux plates-formes de réseau social des obligations de transparence concernant leur processus d’allocation d’espaces publicitaires : concrètement, il s’agirait pour les internautes de pouvoir prendre connaissance de l’identité des organisations ou des individus qui ont payé pour sponsoriser des contenus qu’ils consultent sur Facebook ou Twitter.
Cette injonction à la transparence va plutôt dans le bon sens dans la mesure où elle permettra aux internautes d’exercer un regard critique sur les contenus qu’ils consultent, en ayant accès à des informations que les plates-formes gardent aujourd’hui secrètes. Aux États-Unis, Facebook a d’ailleurs annoncé d’elle-même l’application de cette mesure à la suite de l’ « affaire russe ».
La seconde mesure annoncée consiste à limiter les montants consacrés à la sponsorisation de contenus en ligne en période de campagne, prolongeant une mesure qui existe hors ligne. Si l’annonce en elle-même n’est pas surprenante, le problème de cette mesure est plutôt celui de son application, tant il sera facile pour les internautes de les contourner, en multipliant par exemple les comptes et les identités de celles et ceux qui paient pour diffuser des contenus à grande échelle sur les réseaux.
Plus problématique, en revanche, est la création d’une procédure judiciaire en référé qui permettrait de faire supprimer un contenu, de déréférencer un site ou de fermer un compte. Car derrière le problème de la régulation des « fake news » se pose la question plus fondamentale de savoir ce qu’est, au juste, une fausse information : s’agit-il d’une information partielle, non vérifiée, trop subjective ou purement mensongère? Et si celle-ci est « fausse », est-elle le fruit d’une erreur ou d’une volonté de désinformer ?
La réponse que les journalistes fact-checkers apportent à ces questions est de s’intéresser non pas à ce que disent ces « fake news », mais à la manière dont elles sont produites : on peut juger de la fiabilité d’une information, nous disent-ils, en observant si ses producteurs ont respecté les principes déontologiques de base en vigueur dans la profession, comme le recoupement des sources ou l’administration des preuves.
Les questions en suspens restent la légitimité des juges à décider de la fiabilité d’une information et les dérives qu’une procédure accélérée pourrait produire en termes de censure. Précisions enfin qu’il existe déjà dans le droit français une loi punissant la propagation des fausses nouvelles, celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mise à jour en 2000.
CÔTÉ FACE : CENSURE
Autre point qui fait débat, la volonté des pouvoirs publics de « responsabiliser les plates-formes et les diffuseurs sur internet. » Cette injonction à la responsabilité, déjà ancienne, traduit en réalité un transfert des pouvoirs de censure, de l’État vers des entreprises privées qui s’arrogent ainsi une légitimité politique, alors même qu’elles ne rendent de comptes à personne sur leurs activités.
En 2017 par exemple, Facebook a, semble-t-il, réalisé un « grand ménage » sur sa plateforme, en supprimant près de 150 pages et de comptes dans la plus grande discrétion. Si certaines de ces suppressions peuvent paraître légitimes, comme celles concernant les pages qui hébergent des propos haineux ou de la propagande djihadiste, elles sont problématiques dans la mesure où le réseau social n’a pas cru bon de communiquer sur ces suppressions et sur les critères à partir desquels a été mené ce grand ménage.
Il est un acteur qui est toujours oublié : nous, les citoyens, les internautes, qui partageons les informations sur les réseaux sociaux et qui avons notre mot à dire sur le fonctionnement des outils que nous utilisons.
Dans un contexte où la puissance politique des géants de la Silicon Valley va grandissant, le rôle des pouvoirs publics devrait être de garantir que leurs activités économiques n’empiètent pas sur les libertés fondamentales des citoyens. C’est plutôt l’inverse qui semble se produire derrière ces appels à la responsabilisation.
D’autres pistes ont été évoquées lors de l’allocution d’Emmanuel Macron, notamment un projet de certification des organes de presse, qui pose là aussi une question fondamentale de légitimité, du coté des journalistes cette fois-ci, à être à la fois juge et partie sur le marché de l’information. De nouvelles fonctions devraient également être attribuées au CSA, vis-à-vis notamment de la régulation des médias étrangers (suite à la polémique autour de l’ouverture de l’antenne française de Russia Today), sur lesquelles le président n’a pas encore donné de détails.
Notons enfin qu’il est un acteur qui est toujours oublié dans ces controverses autour de la régulation des fausses informations : nous, les citoyens, les internautes, qui partageons les informations sur les réseaux sociaux et qui avons notre mot à dire sur le fonctionnement des outils que nous utilisons, surtout quand ceux-ci jouent un rôle démocratique important.
Sur le long terme, rien ne se fera sans l’éducation aux médias, dont la place doit être accrue dans les programmes scolaires pour stimuler l’esprit critique sur les technologies numériques et leurs usages. À court terme également, les logiques participatives propres au web pourraient être mobilisées pour apporter une partie de la solution. Le collectif SavoirCom1 a par exemple appelé à la création d’un annuaire contributif des producteurs d’information en ligne.
À la manière de Wikipédia, cette plateforme permettrait aux internautes de référencer et d’évaluer collectivement la fiabilité des sources présentes sur internet. Ce type d’initiative a le mérite de souligner qu’une lutte efficace contre la désinformation devra également s’appuyer sur les formes de coordination et d’intelligence collective propres au web, afin de produire de la confiance entre les instances régulatrices et les communautés d’internautes.
© Photo : Flickr
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