Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a dénoncé mercredi soir une « attaque » de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière et des agressions visant son personnel soignant. Une interprétation des faits dans un premier temps corroborée par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui a parlé d’un événement « inqualifiable », avant de modérer ses propos suite à sa rencontre avec les personnels soignants jeudi, refusant finalement de relayer le terme d’« attaque ».
Mercredi soir, dans la bouche de certains, on entendait presque que des individus cagoulés et bardés de noir avaient tenté d’arracher des nouveau-nés de leurs couveuses et de débrancher des patients en urgence respiratoire à l’hôpital de la Salpêtrière. Une enquête est en cours, afin de déterminer les circonstances exactes des tentatives d’« intrusion » dans cet établissement de soins. Mais pour les nombreux manifestants qui étaient présents sur place, la ficelle est apparue grosse. Contraints de stationner devant l’hôpital, où les forces de l’ordre avaient coupé la manifestation, avant, par tous les moyens, de les faire reculer aux abords de la Place d’Italie, ces derniers ont subi près de deux heures durant des charges violentes à grands coups de gaz lacrymogènes et de camions à eau. Ce qui suffit à expliquer les diverses tentatives de repli qui en ont découlé, loin des fantasmes d’une volonté nihiliste de s’en prendre à des personnes vulnérables et à ceux qui les soignent.
Il se trouve qu’avant de se retrouver boulevard de l’Hôpital, devant la Pitié-Salpêtrière, les manifestants dont les désormais fameux « blacks blocs », qui n’existent pas en tant qu’entités propres, puisque cette dénomination évoque une technique, ont fraternisé, par des applaudissements réciproques et poings levés, avec les personnels soignants de l’hôpital Cochin, qui observaient le cortège passer devant eux.
Si cela ne suffisait pas à mettre à mal la théorie du ministère de l’Intérieur, il n’y a qu’à être attentif aux images pour s’en affranchir. Sur Twitter, le journaliste David Dufresne a publié une série de vidéos montrant des dizaines de personnes tentant d’échapper aux charges de la police. Sur l’une de ces vidéos, on aperçoit des manifestants, ne montrant aucun signe tangible d’agressivité, stationner tout près de l’entrée d’un bâtiment de la Pitié-Salpêtrière, au n°97 du boulevard de l’hôpital. Quelques instants après, des CRS arrivent par cette même entrée pour pousser les manifestants, en les matraquant, à rejoindre le boulevard. Sur une autre vidéo, on peut effectivement observer des soignants fermer la porte à des manifestants qui tentent de pénétrer dans un service de réanimation, via une passerelle qui constituait leur seule issue. Si l’on observe une réaction préalable de panique chez les premiers, un dialogue s’instaure très vite entre les deux parties, les manifestants expliquant au personnel de l’hôpital qu’ils tentent simplement d’échapper aux gaz lacrymogènes.
Comme en ont témoigné des médecins et des infirmiers, « cela s’est passé dans le calme, il n’y a pas eu de débordement », pas plus que « de matériel dérobé, ni d’intrusion ». Les manifestants qui ont voulu rentrer dans l’hôpital n’ont fait que tenter de s’y replier, pour échapper aux lourdes charges de la police, qui n’avaient que trop duré. Dans le métro, à la station Saint-Marcel, où d’autres participants de la manifestation ont aussi tenté de se réfugier, les gaz faisaient tousser les usagers jusque dans la rame.
On peut s’interroger sur l’opportunité de concentrer les manifestants aux abords d’un établissement de soins avant qu’ils n’arrivent Place d’Italie, lieu de convergence pourtant déclaré du traditionnel défilé du 1er mai. Ne s’agit-il pas a minima d’une maladresse évidente dans la stratégie de maintien de l’ordre déployée ? Jeudi trente-deux personnes étaient encore en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». Si elles ont à répondre de leurs actes, et de leurs intentions, elles ne devraient pas être les seules.
Soizic Bonvarlet
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