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Le Festen nu

Avec « Tous des oiseaux », l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad remet l’essentiel au centre de la tragédie. Après le Théâtre de la Colline, à Paris, c’est le Théâtre National Populaire de Villeurbanne qui accueillera, du 28 février au 10 mars 2018, les angoisses et questionnements contemporains des personnages de Mouawad. Un concentré proche de la fission nucléaire.

D’abord, l’amour. C’est-à-dire, en déclenchement, une série d’armes de destruction massive : New York, Eitan (en hébreu : « fort », « robuste »), un jeune Allemand-Israélien, chercheur en génétique, s’éprend de Wahida (en arabe : « la première », « la seule »), orpheline américano-arabe qui buche sa thèse de doctorat sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzân, mieux connu par nous sous le nom de Léon l’Africain.

UNE PIÈCE FAITE D’IMPOSSIBLES RENCONTRES

Pour annoncer son amour, Eitan réunit sa famille berlinoise à New York pour un « Pessah Festen » : les douleurs juives européennes et israéliennes se réveillent chez son père, sa mère et son grand-père rescapé d’Auschwitz. En Israël avec Wahida, Eitan tente de résoudre l’énigme posée par l’ADN de son père, bloc d’ultra-israélisme opposé à son choix amoureux. Gravement blessé dans un attentat sur le pont Allenby, il reste entre la vie et la mort. Tout bascule alors dans l’impossible rencontre des aménagements de la mémoire de la famille d’Eitan et de Wahida qui, de son côté, et dans un monologue fulgurant, se « rétablit » dans une identité arabe soigneusement évitée jusqu’alors.

Encadré par la délicate sobriété de la scénographie d’Emmanuel Clolus, par laquelle les panneaux modulables se jouent du temps, de l’espace et des surtitres, le propos de Mouawad se noue, se tend à l’extrême avant de s’apaiser dans un courageux réalisme. Lyrisme sobre, quand le son assourdissant des avions de guerre lacère l’audience comme les personnages sont eux-mêmes lacérés par leur histoire et l’Histoire.

L’EUROPE COMME POINT COMMUN

Révélation télévisuelle du rôle de l’armée israélienne lors du massacre de Sabra et Chatilah au Liban, moment récurrent dans l’œuvre de Mouawad, où la douleur de la grand-mère d’Eitan se fige tel le « Cri » de Munch. Entremêlées, encore, les langues, où le dialogue se déplie en allemand, en arabe, en hébreu et en anglais, pour mieux signifier l’abolition du temps et de l’espace dans les langues qui, diverses, deviennent une.

Ces transmissions des blessures identitaires qui font de nous, héritiers des bestialités du XXe siècle, des bombes humaines inconsolées sont le lot commun de tous les personnages.

La question “d’où êtes-vous ?” n’a plus de sens pour moi et la seule question à laquelle je peux répondre, c’est “où êtes-vous le mieux ?” (Wajdi Mouawad)

Jamais Mouawad ne sombre pas dans la guimauve convenue de la « réconciliation entre frères ennemis. » Il nous invite, encore, à nous hisser au-delà de l’impossible, par un appel à sortir de nous-même, et tel l’oiseau profondément intrigué par la beauté des poissons, à plonger dans la mer pour les rencontrer et « risquer » de changer un peu de nous pour y parvenir.

Il peut sembler indifférent à certains que des acteurs israéliens, sidérants de douleur, côtoient sur la même scène des acteurs arabes, ahurissants de rage et de douceur, pour jouer l’éternelle impossible rencontre d’altérités si proches. Pourtant, il sera inimaginable aux Israéliens de la troupe de Mouawad de jouer au Liban, ou au Franco-Libanais Mouawad de mettre les pieds en Israël. C’est en Europe, et à Paris, que se produit l’impensable là-bas. « ‘Tous des oiseaux’ est une manière de s’adresser aux spectateurs : il n’y a plus de liens entre l’identité et l’origine », confie Mouawad.

En miroir, ces acteurs de trois générations ont, dans leur exil choisi ou subi, un point commun : l’Europe, qui les a sauvés (Jalal Altawil), qui les a vu naître (Jérémie Galiana, Judith Rosmair, Souheila Yacoub) ou/et qui les a portés à développer leur art (Darya Sheizaf, Raphael Weinstock, Leora Rivlin, Victor de Oliveira). L’Europe ? Elle est sur cette scène-là.

 


« Tous des oiseaux », Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad

Spectacle en arabe, hébreu, anglais, allemand, surtitré en français

Avec Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock, Souheila Yacoub

Production : Théâtre National de la Colline, Paris, où il a été joué jusqu’au 17 décembre 2017

Repris au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, du 28 février au 10 mars 2018.

© Photo : Pixabay

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